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Dans le viseur des spéculateurs
« Je ne suis pas loin de Paris, c’est bien desservi par les transports en commun, je peux me balader au bord du canal… » Propriétaire d’un 80 m2 dans le quartier Gare depuis août 2016, Nicolas ne regrette pas son achat. Ce cadre de 39 ans est tombé sous le charme de cette « ville populaire et multiculturelle qui dispose d’une véritable vie culturelle et sociale ». Mais ce n’est pas uniquement le cadre de vie qui l’a séduit, c’est aussi le prix : 3 000 € m2, soit trois fois moins cher que dans la capitale où le prix moyen du m2 dans l’ancien frôle les 9 000 € (1). « À Paris, le prix des studios se situe autour de 200 000 €. Quel intérêt d’acheter quand on peut acquérir un 28 m2 à 100 000 € à Saint-Denis pour faire de la location ?, s’interroge Noureddine Benmouhoub, directeur de l’agence Era à la Plaine. Saint-Denis est la moins chère des villes de la petite couronne collées à Paris. » Il suffit en effet de regarder les derniers chiffres de la chambre des notaires pour se rendre compte de la différence de prix dans l’ancien : 5 740 € le m2 en moyenne en Île-de-France, 4 900 € à Pantin, 4 530 € à Saint-Ouen et… 3 300 € à Saint-Denis.
« Les infrastructures des JOP valoriseront l’image de la ville »
Mais, selon le directeur de l’agence Era, la ville qui a longtemps eu « mauvaise réputation » est aujourd’hui dans le viseur des investisseurs immobiliers. Raison principale ? Saint-Denis sera le futur centre névralgique du département avec la construction de deux gares du Grand Paris Express : Stade de France (ligne 15) et Saint-Denis Pleyel (ligne 14). « La qualité du réseau de transport et la proximité avec Paris font beaucoup évoluer les prix, confirme David Proult, maire adjoint à l’aménagement durable, à l’urbanisme et au foncier. La gare Saint-Denis Pleyel permettra l’interconnexion entre les lignes 14, 15, 16 et 17 du Grand Paris Express. Il faut avoir en tête que ce sera Les Halles du XXIe siècle. » L’implantation du village olympique lors des Jeux olympiques et paralympiques 2024 a également un effet non négligeable sur les prix. « Les infrastructures des JOP valoriseront l’image de la ville. Les prix sont d’ailleurs repartis à la hausse depuis l’annonce des Jeux », constate Noureddine Benmouhoub.
L’arrivée d’entreprises impacte le sud
Conséquence : le prix du m2 a augmenté de 13,4 % dans l’ancien à Saint-Denis en l’espace d’un an selon le directeur d’agence. Une flambée immobilière que l’on retrouve dans le neuf : « Les nouveaux logements sont actuellement de 15 à 25 % au-dessus des autres programmes à Saint-Denis, soit environ 4 400 €/m2 pour les appartements familiaux. » Des chiffres qui concordent avec ceux de David Proult qui « observe une hausse importante des prix dans les quartiers Pleyel et centre-ville depuis 2017, mais aussi à la Plaine et Porte de Paris dans une moindre mesure. » Noureddine Benmouhoub constate de son côté une envolée du m2 à Pleyel et à la Plaine : « Plus on va vers le sud, plus les prix augmentent, en particulier dans le secteur Front Populaire où la demande locative est très forte. » À l’origine de cette hausse récente, l’installation de nombreuses entreprises, notamment dans le Parc des Portes de Paris qui devrait attirer de nombreux cadres dynamiques. Plus prometteur encore pour les futurs propriétaires-bailleurs : la construction du Campus Condorcet et ses 12 000 étudiants.
« C’est à la Ville d’imposer ses conditions »
Mais « la politique de la Ville en matière d’immobilier permet pour l’instant d’éviter l’explosion des prix », nuance Noureddine Benmouhoub. Contrairement à d’autres communes du département, Saint-Denis dispose en effet de nombreuses armes pour juguler la hausse de prix. La Ville fait appliquer aux promoteurs la Convention qualité des constructions neuves de Plaine Commune. Cette charte définit un certain nombre de règles pour limiter la spéculation : prix plafond pour l’acquisition de biens sur plan dans les ZAC (2), prix de vente plafonds (3), construction limitée de petits logements qui favorisent en général la spéculation… « Si les règles ne sont pas respectées, le permis de construire n’est pas accordé, met en garde David Proult. Ce n’est pas au promoteur de faire la ville de demain, c’est à la Ville d’imposer ses conditions. »
La municipalité planche également sur d’autres solutions pour juguler la hausse des prix. L’extension du dispositif de l’accession sociale à la propriété (4) permettrait à un nombre accru de ménages à faibles revenus de devenir propriétaires. Autre dispositif étudié : l’ouverture d’un organisme de foncier solidaire (OFS) pour dissocier la propriété du sol et du bâti, et donc réduire le prix de vente des biens. « Ces deux outils permettent de produire du logement entre 15 et 20 % moins cher, estime David Proult. Notre défi, c’est d’accueillir des populations nouvelles à Saint-Denis sans que cela se fasse au détriment des Dionysiens, y compris les couches populaires qui sont dans un parcours résidentiel (5). »
Julien Moschetti
(1) 8 900 € le m2 selon le site MeilleursAgents.
(2) Zone d’aménagement concerté (ZAC) est une procédure d’urbanisme opérationnel, qui permet à une collectivité ou un établissement publics de réaliser ou de faire réaliser l’aménagement et l’équipement de terrains.
(3) Entre 3 165 et 4 200 € TTC le m2 à Saint-Denis.
(4) Mise en œuvre par la CAPS (Coopérative d’accession sociale à la propriété).
(5) Consiste à accompagner les locataires tout au long de leur vie en leur proposant des logements adaptés à leur situation.
Prix du m2 moyen par quartier |
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Allende | 3 137 € |
Centre-Ville / Basilique | 3 614 € |
Courtille / Saussaie / Floréal | 3 486 € |
Delaunay / Belleville | 3 235 € |
Franc-Moisin / Bel-Air | 3 007 € |
Mutuelle / Champ de Courses | 2 974 € |
Langevin / Stalingrad / Politzer / Péri | 3 443 € |
Plaine | 3 692 € |
Pleyel | 3 782 € |
Semard / Delaune / Guynemer | 2 642 € |
UNE GENTRIFICATION À PETITES DOSES
Après Londres, New York ou Paris, Saint-Denis sera-t-elle la prochaine ville victime de la gentrification ? Ce phénomène désigne le processus par lequel le profil socio-économique de la population d’un quartier se modifie au profit d’une classe sociale plus aisée. Pour en savoir plus sur le sujet, Dionyversité, université populaire de Saint-Denis, organisait le 13 février une conférence intitulée « La gentrification, un processus global ? », en présence de Thomas Maloutas. Selon le géographe grec, les grandes villes anglo-américaines réunissent depuis les années 1960 les conditions idéales au développement de la gentrification pour deux raisons principales. La première est liée à leur histoire, au choix des élites d’abandonner très tôt le centre-ville pour s’installer en banlieue. La désindustrialisation se chargeant de libérer de grands espaces à proximité du centre-ville, espaces propices à un retour des classes moyennes. Deuxième raison : « la disponibilité de ces vastes zones gentrifiables s’est conjuguée avec un régime néolibéral » (Reagan aux États-Unis, Thatcher au Royaume-Uni) qui a mené « des politiques de rénovation urbaine pro-gentrification et une marchandisation croissante de l’habitat ».
Mais ce contexte favorable à la gentrification n’est pas valable pour toutes les métropoles du monde. Notamment à Vienne, où le « pourcentage élevé de logement social constitue un rempart contre le phénomène ». Autre exemple cité par Thomas Maloutas : Rio de Janeiro. La splendide vue sur la ville, les pentes escarpées et les couleurs vives de la favela de Don Marta avaient pourtant toutes les caractéristiques d’un quartier « gentrifiable ». Mais le taux élevé de criminalité ou l’odeur des égouts à ciel ouvert étaient incompatibles avec les standards de la classe moyenne. Conclusion du géographe : le processus de gentrification dépend étroitement du contexte spécifique de chaque ville et des politiques mises en place. Il n’est donc « pas inéluctable ».
Un phénomène lié à plusieurs facteurs
Un avis partagé par la géographe Mathilde Costil qui considère que l’évolution du phénomène à Saint-Denis « dépendra des politiques de l’habitat menées, de l’évolution de la région parisienne en termes de politiques du logement et de prix, mais aussi de la différence de prix entre Saint-Denis et les villes des alentours ». Pour autant, « le début du processus de gentrification a déjà démarré à Saint-Denis, notamment en centre-ville et à la Plaine. Mais on ne sait pas encore comment ça va évoluer », constate Mathilde Costil qui a observé une modification du profil sociologique de la population. Selon une étude socio-démographique de 2014 (1), le pourcentage de cadres et de professions intellectuelles supérieures à Saint-Denis était passé de 7,7 à 13,1 % en l’espace de cinq ans, contre 31,1 à 25,5 % chez les ouvriers. Un phénomène qui pourrait s’amplifier sous l’effet de plusieurs facteurs : amélioration de la desserte de transport en commun (Grand Paris Express…), évolution des prix de l’immobilier, JOP… Mais selon la géographe, « une politique régionale ambitieuse de logement, avec un encadrement des prix (location et achat) et la construction de logements accessibles au plus grand nombre (notamment du logement social) pourrait freiner le processus de gentrification. » L’avenir jugera de l’efficacité des politiques menées. JM
(1) Publiée en juin 2014 dans le n° 63 de la revue Saint-Denis au fur et à mesure (Bellavoine, Turpin).
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28 février 2018
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