À la une Cultures
Librairies, théâtres, cinémas/
Déconcertante déconsidération
Il y a des symboles qui ne trompent pas. Depuis le discours du président Emmanuel Macron le 28 octobre, un débat s’est engagé quant à la fermeture des librairies, commerces jugés non essentiels, et par lequel, tel un étendard brandi à travers la houle, le monde de la culture veut faire valoir sa place dans la société. « En mai, Bruno Lemaire avait déclaré que le livre devait être considéré comme un produit de première nécessité, se souvient Laure-Marie Legay de la librairie Folies d’Encre (1).
Il y avait donc un petit espoir d’être pris en considération. » Aujourd’hui, dépitée, elle ne croit même pas en la solution avancée par le gouvernement d’exonérer les frais de port pour les libraires. Une faible consolation selon elle. « Ce ne sera pas rentable. Les marges sont trop faibles pour faire la queue une heure à la Poste. Ce qu’il faut, c’est ouvrir les librairies », tranche-t-elle. Absent du discours présidentiel, le secteur culturel se sent déconsidéré : lettres ouvertes, communiqués de presse, newsletters, statuts incendiaires sur les réseaux sociaux, interviewes… Tous les moyens sont bons pour défendre l’idée que la culture est essentielle à nos vies et de rappeler l’impact de la crise sanitaire sur ce milieu qui, dans une approche pragmatique, mobilisait au 1er janvier 2013, 691365 travailleurs (source Insee). À Saint-Denis, comme dans le reste de l’Hexagone, s’ils comprennent l’urgence d’agir face à la deuxième vague de Covid-19 qui s’annonce pire que la première, les acteurs culturels regrettent le désengagement politique de l’exécutif.
LIRE AUSSI : Click and Collect : les médiathèques à la page
« Cela me questionne sur la vision du président. C’est décevant. Tout d’un coup, un confinement général est annoncé et il n’y a pas un mot pour la culture. Alors qu’elle est si importante, comme on a pu le constater lors du premier confinement, déplore Boris Spire, directeur du cinéma l’Écran. Le plus dur c’est d’avoir le sentiment d’avoir remonté la pente et d’être coupé dans cet élan. On a fait plus d’entrées que la saison passée à la même date », observe M. Spire qui ne remet pas en cause l’urgence de mettre en place un nouveau confinement. « Face à ce qui se passe, nous avons la sensation que la culture est persona non grata. Le click and collect, c’est neuf fois plus de travail pour très peu de retombées. Cela ne résout pas la question de la survie de la librairie », estime Laure-Marie Legay.
Le poids politique de la culture
« Le fait de ne pas mentionner la culture s’est fait de manière très consciente. Les prochaines semaines vont être un combat à mener via le ministère de la Culture, pense, quant à elle, Julie Deliquet, metteuse en scène nommée à la tête du TGP en avril, en pleine vague de Covid-19. Depuis septembre, nous n’avons jamais reçu autant de soutien de la part du public et d’habitants qui parfois n’étaient jamais venus au TGP… Maintenant, il s’agit de faire entendre notre parole, celle-ci a pris de la valeur car elle est citoyenne. »
Au vu des maigres arbitrages remportés par la ministre Roselyne Bachelot – on se souvient du refus catégorique du Premier ministre Jean Castex d’alléger le couvre-feu pour les spectateurs munis d’un billet – se pose la question du poids politique de la culture. « MmeBachelot nous a bien défendus. Il y a eu un dialogue très sérieux avec Madame la ministre mais on a l’impression que ce n’est pas là que cela se décide, juge Boris Spire. Avec les syndicats des partenaires publics et privés, on a le sentiment qu’il y a eu une vraie discussion mais qui n’est pas entendue par le gouvernement. » « Nous comprenons qu’il faut la même règle pour tout le monde. Mais c’est sûr que l’on ne peut pas s’empêcher de penser que la sécurité sanitaire aurait pu être assurée. Dans notre grand chapiteau, on peut faire des demis voire des quarts de jauge », réagit de son côté Stéphane Simonin qui dirige l’académie Fratellini. Durant le couvre-feu, l’école de cirque dionysienne a su adapter ses formules et ses espaces pour entrer dans les clous et proposer malgré tout une programmation.
LIRE AUSSI / Culture : confinement Acte II
Chacun des acteurs culturels tente de tirer les leçons de ces lendemains nouveaux promis par le premier confinement. « Il faut défendre la culture tout au long de l’année, pas seulement en période de confinement, retient Luc Pinto Barreto, le dealer de livres installé place de la gare de Saint-Denis. Il faut faire en sorte que les lieux de culture puissent se fédérer, avoir une démarche solidaire pour maintenir le lien avec la population. J’ai découvert beaucoup d’associations qui s’étaient mobilisées dans les quartiers de la ville, en temps de crise comme toute l’année. Il faudrait s’en inspirer. » Du côté de Folies d’Encre, on constate néanmoins qu’« il y a eu du changement dans les habitudes de consommation, les clients veulent faire vivre les petits commerçants qui font face à des machines de guerre. Il y a eu une prise de conscience. On peut espérer qu’un changement de mentalité s’opère durant cette nouvelle période ».
Maintenir le lien avec les Dionysiens
Aux professionnels de montrer l’exemple ? Centres dramatiques nationaux ou théâtres de ville, ces lieux doivent montrer leur solidarité envers les compagnies qui sont les plus fragilisées, plaidet-on du côté du TGP. « Nous devons réinterroger de façon moins isolée nos liens avec nos partenaires et répondre à l’élan citoyen que nous avons connu sur le territoire », évoque Julie Deliquet. Et justement, la librairie du centre-ville veut s’entourer des équipes du TGP et de l’Écran, collaborateurs historiques, pour maintenir le lien avec les Dionysiens. « Cette présence physique de leurs équipes auprès des habitants permettrait de montrer qu’il se passe encore des choses même si les lieux sont fermés. Être avec nous pour échanger avec les habitants nous paraît essentiel », affirme Laure-Marie Legay.
Boris Spire, lui, scrute déjà l’après. Les cinémas, maillons dans la chaîne de l’industrie cinématographique, ont encore de longues batailles à mener. « Je fais partie des déçus. Il fallait que l’on travaille davantage dans un esprit de solidarité, mais les bonnes vieilles habitudes sont restées, surtout les mauvaises. Cet été, ça a été très dur. Beaucoup de films indépendants ont eu plus de place dans nos salles et cela a fonctionné. Mais d’un autre côté, les grands distributeurs ont eu certaines exigences qu’ils n’avaient pas avant en imposant des placements pendant trois semaines, encore plus d’exclusivité… Si au moins on pouvait profiter de cette période de confinement pour remettre les pratiques à plat ! On va s’organiser pour se faire entendre à la sortie du confinement pour que la mécanique soit mieux huilée. »
Quant à Stéphane Simonin, l’équation paraît presque idyllique : il faut revoir notre choix de société. « La culture est un besoin, un bien essentiel, pose-t-il. C’est une erreur dans notre choix de société de ne pas considérer la culture comme une priorité. Il apparaît d’emblée une hiérarchie, on le voit actuellement. Ce serait tellement fort comme symbole de dire que ce que l’on va sauvegarder ce sont les services de santé, les services publics et la culture. »
Maxime Longuet
(1) Il est possible de passer commande en ligne auprès de Folies d’Encre sur www.placedeslibraires.fr ou sur preambule93@orange.fr. Aucune commande ne se fait par téléphone. Retrait sur place (14, place du Caquet) du mardi au samedi de 14h à 18h.
Réactions
lecteur-jsd (Pseudonyme non vérifié)
16 novembre 2020