Portrait
Nadia Al Mohammad/
Trois à l’étroit
Chez les Al Mohammad on naît en fin d’année. « Je suis née le 30 décembre et mon frère le 31. » Le fiston aussi est du mois de décembre. Mais derrière son masque couleur bordeaux, Nadia Al Mohammad n’a plus le sourire. L’année qui vient de se passer a été particulièrement éprouvante. « En 2020, on s’est vraiment découragés moi et les enfants. » Cette quinquagénaire aux yeux noirs perçants vit depuis 2016 dans un minuscule rez-de-chaussée avec ses deux enfants de bientôt 13 et 15 ans.
17 m2 dans un petit immeuble à la façade fraîchement repeinte situé à deux pas du parc de la Légion d’Honneur que la famille essaie de fuir depuis quatre ans. « Cette maison, je n’en peux plus », soupire Nadia, un gros sac de farine à l’emballage moisi entre les mains. L’humidité dévore tout. « 94 % ! », s’indigne la locataire. Le matelas posé à même le sol sur lequel elle dort est tacheté et humide. Le tapis bleu aux fleurs vertes aussi. Les murs également. « C’est le dixième tapis que je change. J’avais des lits en bois et une armoire avant, mais l’humidité a tout rongé. Je rachète tout à peu près tous les ans. »
L’humidité les rend malades
C’est dans la pièce principale que toute la famille dort, mange, révise. « On n’a pas d’intimité et ça crée des disputes. On ne peut pas être libre. Cette année, avec ma fille, ça devient compliqué. Elle en a marre de devoir tourner le dos dès que je me change. » Les étagères en hauteur se courbent sous le poids des affaires. Le mini radiateur au milieu de la pièce paraît bien insuffisant pour chauffer tout l’appartement. Dans la cabine de douche sont entassés valises et autres objets. Dans la cuisine non plus, de la place, il n’y en a pas. Impossible de faire quelque chose sans déplacer quoi que ce soit.
« On ne peut recevoir personne. » Alors Nadia essaye de passer le moins de temps possible chez elle. Elle partage son temps entre son nouveau boulot, commencé il y a moins de deux mois dans une boucherie de Bobigny, l’Amicale du Nid pour y faire ses lessives et la Maison des parents. « On fait beaucoup de choses là-bas. Du yoga, du sport, on prend des cafés ensemble, on fait du dessin ou on fabrique des crèmes pour le visage. Il y a des activités tous les jours, ça m’aide beaucoup. »
Des activités brutalement stoppées par la mise en place du confinement en mars dernier. Dans le minuscule studio où Nadia et ses deux enfants doivent rester, « on était toute la journée les uns sur les autres ». C’est au cours de ces deux longs mois que la mère de famille se met à tousser. « Je suis allée voir le médecin, persuadée que j’avais le corona. » Si ce n’est pas la Covid, le diagnostic n’est pas plus rassurant. « Elle m’a expliqué que je toussais à force de rester chez moi. » L’appartement rongé par l’humidité rend également son fils malade. « Dès qu’il est dans l’appartement, il tousse. Une nuit, il s’est réveillé car il n’arrivait plus à respirer. On a dû aller s’asseoir sous le porche de l’immeuble. » Quand elle arrive à Saint-Denis en novembre 2016 avec son mari, dont elle est désormais séparée, l’appartement devait pourtant être une solution temporaire. Née au Maroc, Nadia s’installe à Nice avec son époux il y a dix-sept ans et y fonde une famille. « Nice était belle, mais année après année, ça devenait dur avec le travail. C’est une région où il n’y en a que pendant l’été. »
Prioritaire DALO
Son mari faisait les marchés. Impossible de profiter des grandes vacances avec les enfants. Alors, au bout de treize ans dans les Alpes-Maritimes, la famille décide de s’installer en Île-de-France, « là où il y a plus de travail », et pose ses valises dans cet appartement minuscule mais flambant neuf. « Les murs étaient tout blanc, mais, au bout de deux mois, les taches d’humidité ont commencé à apparaître. » Nadia est ce qu’on appelle une mal-logée. Un fléau qui touche en France, selon la Fondation Abbé-Pierre, près de 15 millions de personnes. Entre surpopulation et insalubrité, son dossier est pourtant solide pour réclamer un appartement. Reconnue prioritaire par le droit au logement opposable (DALO) en 2018, elle aurait dû recevoir une proposition de la préfecture dans les six mois. Aucune n’est arrivée. Face à cette inaction, son avocat a déposé un recours qui a abouti au versement de 450 euros de dommages et intérêts.
« Mais toujours aucune proposition », se désole Nadia. La situation est malheureusement assez courante. Selon le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, plus de 70000 ménages prioritaires DALO, depuis la création de la loi en 2007, attendent toujours d’être relogés pour certains depuis onze ans. Après quatre ans d’interpellation des services d’hygiène de la Ville, deux inspecteurs de salubrité ont finalement visité l’appartement de Nadia début août. Affaire à suivre donc.
Olivia Kouassi