Portrait
Samia Amekhouk/
Femme libérée
Dans la cour des habitations où on la reçoit, Samia Amekhouk fait le tour du propriétaire. Elle repère le pommier dans le jardin des voisins, laissé à l’abandon. Imagine une stratégie pour aller récupérer ces fruits qui ne profitent qu’aux animaux errants, puis tout ce qu’elle pourrait cuisiner avec ce butin fictif. Elle monte les escaliers, les descend, les remonte, puis prend la pose devant l’objectif du photographe.
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« Vous me faites un beau portrait hein ! », nous exhorte-t-elle en riant. À son âge, son dynamisme force l’admiration. Samia aura 70 ans le 8 mars prochain, date de la Journée internationale des droits des femmes. Un véritable symbole pour celle qui se bat pour la liberté, elle qui en a été privée pendant de longues années par un mari violent. Quand elle raconte son histoire, pas une fois sa voix ne tremble, pas une fois ses yeux, dans lesquels sa mèche de cheveux noirs tombe, ne se mouillent. Elle s’exprime dans un français clair, qu’elle a appris seule grâce à la télévision et à l’insu de son mari. Son premier acte de rébellion dans une vie faite d’interdits et de restrictions.
Recluse sans contact avec l’extérieur
Elle revient sur ce qui l’a décidée à s’extirper d’une situation invivable, qu’elle supportait pourtant depuis vingt ans. C’est une méningite grave, qui l’a conduite à l’hôpital et plongée 24 heures dans le coma qui, paradoxalement, a sauvé Samia. « Je me suis réveillée et je me suis dit : plus jamais. Je ne veux plus de cette vie. Peu importe le temps qu’il me reste à vivre, je veux être libre. On ne décidera plus jamais à ma place. » Cette vie, ce sont deux décennies de séquestration et de violences infligées par un mari qu’elle décrit comme un bourreau. Arrivée au tout début des années 1970, à 19 ans, en région parisienne en provenance d’Algérie, pays dans lequel elle a grandi, Samia découvre la capitale, s’émerveille sur les Champs-Élysées. « C’était magnifique », sourit-elle. Mais bientôt, elle ne connaît plus que les murs de l’appartement de Saint-Denis où elle est installée avec son mari. Elle se persuade d’abord que la situation ne va pas durer.
« Je pensais, comme j’étais jeune et que je ne connaissais pas le pays, que je pourrais sortir après m’être faite à ma nouvelle vie, à mon nouvel environnement. Il n’en a rien été », raconte-t-elle. Samia n’a jamais eu l’autorisation de sortir, est menacée d’être mise à la porte si elle venait à désobéir. N’a pas le droit d’adresser la parole à ses voisins. Une fois mère, elle ne peut même pas accompagner ou aller chercher ses trois enfants à l’école. Pour son mari, une femme se doit de rester à la maison. Celles qui sortent sont des « traînées ». Lui, vit une vie parallèle à l’extérieur, avec d’autres femmes.
Elle décrit un homme dominateur très misogyne, très violent. « Il était son propre patron et pouvait rentrer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Quand, avec mes enfants, on entendait le bruit de la clef dans la serrure de la porte d’entrée, on était terrorisés. » Malgré tout, elle ne peut se résoudre à le quitter. « C’était le père de mes enfants. Je me disais que même si j’étais malheureuse, j’avais mes enfants, un toit, de quoi me nourrir, quand d’autres n’avaient rien. Je me donnais le courage de supporter la situation », se souvient-elle. Entre deux gorgées du thé à la menthe qu’on lui a servi, Samia sort de son sac son portefeuille, où elle garde précieusement un cliché de ces années de calvaire. Une photo d’identité où l’on voit son visage tuméfié, après un énième accès de violence de son mari. « Ce jour-là, il m’avait massacrée », souffle-t-elle. C’est trois jours après les faits qu’elle décide qu’il lui faut garder cette trace. Elle hésite d’abord, pétrifiée par la honte : « Je ne voulais pas que l’on me voie ainsi. »
Épaulée par une voisine avec qui elle avait noué une amitié clandestine, elle finit par se laisser convaincre. Samia se voit défigurée et c’est pour elle le début d’un retour vers la lumière. « Après cet épisode, je ne voyais plus mon mari comme un mari. » Un peu plus tard, la méningite fulgurante dont elle a été victime à la quarantaine finira de la persuader de ne plus endurer cette vie de souffrances. Elle porte plainte, il quitte le domicile familial. La justice lui interdit d’approcher de l’appartement où il vivait. « J’ai réussi à le foutre dehors », résume-t-elle.
« Maintenant, je suis libre. C’est important la liberté », insiste Samia. Elle en use pour continuer de raconter cet épisode douloureux de sa vie afin de venir en aide à des femmes qui connaissent des situations similaires. Des situations qu’elle continue de constater, elle qui est très impliquée dans la vie associative et qui est au contact de nombreuses personnes. Elle martèle toujours le même message : « Je dis aux femmes, ne vous laissez pas faire, n’ayez pas honte de demander de l’aide. N’acceptez pas la violence. » Et elle ne compte pas arrêter là. « Jusqu’à la fin, je me battrai pour les femmes. »
Sarah Boumghar
Réactions
Lila B (Pseudonyme non vérifié)
26 novembre 2020