Portrait

Bruno Del Mastro
/ Une histoire de la table

Restaurateur. À 56 ans, s’il maîtrise tous les rouages de ce métier de table, il continue d’apprendre. Et de l’aimer. Bruno Del Mastro est tombé dans le chaudron du commerce non sans plaisir. Avec Côté Canal, son café-brasserie, le Dionysien sert à sa clientèle des moments de mixité et de convivialité.
Bruno Del Mastro, commerçant. © Yann Mambert
Bruno Del Mastro, commerçant. © Yann Mambert

Le monde commerçant, Bruno Del Mastro l’a reçu en héritage. Ce Dionysien de la Plaine le dit avec fierté et sans réserve : « J’ai été élevé dans le commerce. Ma famille a commencé, dans un premier temps, dans la boucherie. Mon grand-père, ma mère, ils étaient tous bouchers. Sauf moi. J’ai choisi la restauration. » Le décor est planté. Avec son « affaire » qu’il cogère avec sa femme Hind depuis un an et demi – Côté Canal, un restaurant-brasserie de la rue Ambroize-Croizat qui comme son nom l’indique fait face au canal Saint-Denis – le quinquagénaire aux manières bon enfant est bien tombé.

Après plusieurs années à travailler sur les marchés « dans les fruits et légumes de qualité » toujours en famille –notamment avec sa mère qui, à l’âge de 74 ans, tient encore boutique (Chez Jeannine) sous la halle du marché – Bruno est revenu à ses « premiers amours » : la restauration. « Jeune, j’aimais bien servir, j’appréciais le contact, les gens. À 16 ans, j’ai fait un apprentissage dans un restaurant à Villemomble qui s’appelait La Boule. J’y suis resté cinq, six ans après comme maître d’hôtel. Après, j’ai fait l’école hôtelière à Paris. L’école Ferrandi. J’ai gravi les échelons. J’ai bossé dans de grands restaus parisiens, Le Lutetia, le George V… »

Et parallèlement, le jeune Bruno alors âgé d’une « bonne vingtaine d’années » aide sa maman sur les marchés durant le week-end. Dès 7 ans, ce lève-tôt – Bruno arrive chaque jour (sauf le dimanche) à son restau à 6h et ne le quitte généralement pas avant minuit, heure de fermeture – fréquentait déjà les marchés, notamment celui de la ville des rois de France. « J’y allais de bonne heure avec mes grands-parents, ma mère. C’est comme ça quand t’es enfant de commerçants. On t’emmène partout. C’était génial. J’ai appris la vie réelle, à aimer les gens. Et je me suis forgé. »

Marché de qualité

Né à Rennes d’un père français (un ancien apprenti ouvrier de son grand-père maternel tombé amoureux de la fille du patron) qu’il n’a pas vraiment connu et d’une mère italienne, celui qui répète à l’envi « qu’il est de Saint-Denis et qu’il y connaît tout le monde » se plaît à conversationner sur ce « village où tout se sait ». Bruno se remémore cette clientèle aux maigres moyens qui venait du fin fond du 93, du 95, « du 78 même » pour «de l’habillement de qualité pas trop chère ». Il se souvient aussi de l’âge d’or d’un marché décrit comme « fabuleux ». « C’était énorme. T’arrivais le mardi, tu travaillais bien, t’arrivais le vendredi tu travaillais bien, tu travaillais le dimanche, t’explosais. » Aujourd’hui, « ce n’est plus pareil » regrette le restaurateur. « Les bons commerçants sont partis. À force de faire du pas cher et du pas bon, ça tue les marchés. » Depuis qu’il gère Côté Canal, Bruno n’officie plus au marché du centre-ville ni à celui de la Plaine. Par contre, il y met très souvent les pieds, en quête de produits de qualité.

« Je vais chez des commerçants que je connais, je sais qu’ils ont de la bonne marchandise. Je me rends aussi dans pas mal d’épiceries du coin. Chez des Hindous, des Chaldéens, je découvre de nouvelles saveurs. C’est plus cher qu’à Métro mais j’aime bien faire vivre les locaux. » Surtout, le patron ne badine pas avec la cuisine qu’il propose à ses clients. Elle est « simple, traditionnelle et familiale ». Le triptyque ne semble pas décevoir.

Avant la période Covid-19, Côté Canal « marchait très bien ». Le restaurateur n’avait pas à se plaindre. Post-confinement, les choses se sont gâtées notamment en raison des contraintes de la vente à emporter et du télétravail qui « nous a tués ». « J’ai tourné pendant un mois ou deux à moins 50% de chiffre d’affaires. Ça a été une galère. » Aujourd’hui, le commerçant « reprend bien ». Mais il doit travailler dur. « 20heures par jour, 6 jours sur 7. »

Melting-pot social

La pratique de la natation à haut niveau a peut-être procuré à ce père de trois filles – nées d’un premier mariage – cette énergie presque naturelle qu’il déploie. En particulier pour autrui. « J’aime bien m’occuper des autres », confie ce « jeune grand-père » de 56 ans. Il se reprend : « J’aime bien rendre service plutôt. » Rendre service, c’est-à-dire veiller à ce que son personnel se sente bien, à ce que ses clients mangent bien ou encore à ce que ses habitués puissent être tranquilles dans ce lieu « excentré » mais où la discrétion est estimée et assumée. « Les gens aiment venir aussi pour ça. Surtout, ici il y a de tout. On peut rencontrer des chauffeurs routiers, des patrons qui ont 400 employés, des ouvriers, des femmes qui travaillent chez Dior, des employés du coin. »

Dans ce melting-pot social, tout ce beau monde se parle. Et ça, pour Bruno, c’est le « kif ». Comme celui de discuter avec des personnes qu’il connaît depuis de longues années à l’instar de Fredo « un grand monsieur » qui vit à Épinay et « qui a mis toutes les télévisions dans les prisons de France et dans les hôpitaux. Quand il est à Saint-Denis, il vient chez moi ». Ou de ce couple dionysien. Lui était artisan taxi. Elle, secrétaire. « On parle de Saint-Denis, de leurs vies. »

Le restaurateur n’est jamais à court d’anecdotes. Un bon ami à lui, l’ancien maire Didier Paillard, aime à lui répéter à quel point chez Côté Canal, on « est détendu, on oublie tout ». Normal, ici, « c’est la famille ». 
 

Yslande Bossé