En ville
2 mois après l’assaut du RAID/
Sans-papiers Des victimes oubliées
Au moins, l’Obligation de quitter le territoire remise à Ahmed Smaïl G. sur son lit d’hôpital a été levée. Il faut dire que la situation de cet Égyptien de 63 ans blessé par balle durant l’assaut du 18 novembre avait fait les gros titres des journaux et suscité l’indignation. D’ailleurs pour son avocat, c’est la médiatisation de son histoire qui a contraint la préfecture des Hauts-de-Seine à prononcer l’annulation de cette OQTF. Difficile de lui donner tort. Comme lui, cinq autres résidents de l’immeuble, âgés de 23 à 31 ans, également sans-papiers, ont été suspectés d’être les complices de Daech. Ceux-ci aussi ont été arrêtés et emmenés dans les locaux des services antiterroristes de la police judiciaire à Levallois-Perret où ils ont subi une garde à vue de 72 heures qui a conclu à leur « totale innocence ». En guise d’excuses, quatre de ces victimes, dont Nordine T. qui a lui aussi été blessé au bras par les tirs du Raid, ont passé cinq jours au centre de rétention de Vincennes en vue d’être reconduits vers le Maroc et l’Égypte. Mohamed S., un autre Égyptien de 27 ans, gravement blessé par les tirs du Raid et hospitalisé durant plusieurs semaines, écopait quant à lui du même traitement qu’Ahmed Smaïl, sans que la presse n’ait eu connaissance de son cas. Pour ces oubliés des médias, la préfecture des Hauts-de-Seine a refusé de lever les OQTF prononcées à leur endroit.
« On remet la médaille d’honneur à un chien, mais nous, on est traité comme des moins que rien. » Né à Agadir en 1984, Nordine est arrivé en France en 2003, chercher une vie meilleure, avec l’espoir de « mettre bien la famille restée au pays ». Il travaille au noir sur les chantiers, file un coup de main sur les marchés et s’installe il y a un an et huit mois dans un deux-pièces situé au quatrième étage, loué 400 euros par mois. « On avait une vie normale, mais depuis le 18 novembre, elle a basculé. » Dans cet appartement, il a vécu l’enfer. Il a perdu toutes ses affaires, mais il a aussi été atteint dans sa dignité. « On se sent humilié. »
Un tiers des ménages sans-papiers
Ce mépris, tous les sans-papiers du 48, rue de la République peuvent en témoigner. Sur les 43 ménages sinistrés, un tiers sont en situation irrégulière. Alors que la préfecture de la Seine-Saint-Denis s’était engagée à un examen bienveillant de leur situation en vue d’une régularisation - indispensable pour intégrer les dispositifs de relogement - deux mois plus tard, rien n’a bougé. « Pas d’un millimètre, s’indigne Traoré Taga Lassina, artiste burkinabé, porte-parole des sans-papiers. Pas un rendez-vous n’a été pris, pas un seul dossier n’a été examiné, on va nous oublier. » Et il n’y a pas que la procédure, il y a aussi leurs vies qui sont au point mort. « Pour l’instant on est hébergés dans des hôtels, mais pour combien de temps?? » Et que dire de Mohamed S.?? Cette nuit-là, il a été réveillé en sursaut par des bruits de tirs et d’explosion. Il a ouvert sa porte et pris une balle dans l’épaule. Il n’a été évacué que six heures plus tard. Opéré déjà deux fois, ce jeune homme de 27 ans qui vivait dans l’immeuble depuis un an et demi n’a que peu d’espoir de récupérer l’usage de son bras. Sa vie a été brisée, mais hormis quelques voisins, personne ne s’est soucié de lui. Sorti mi-décembre de l’hôpital, il est depuis à la rue, hébergé à droite à gauche, chez des amis. Abandonné parmi les oubliés, il a demandé lui aussi à figurer sur les listes des victimes.
« Pas un centime pour des cigarettes»
Il y en a un, au moins, qu’on espérait sorti d’affaire. Mais Ahmed Smaïl aussi pleure et se sent abandonné. Et lui aussi craint de rester handicapé et de finir SDF, comme le sont ses compagnons d’infortune du centre d’hébergement associatif de Gagny, où le sexagénaire a été envoyé à sa sortie d’hôpital. « J’avais un toit, je travaillais dur, je ne demandais rien à personne. Aujourd’hui, je n’ai même pas un centime pour m’acheter des cigarettes. » Ses voisins l’ont toujours décrit comme un homme joyeux, estimé dans le quartier, toujours prêt à filer un coup de main et qui aimait la vie. Quand on lui a rendu visite la semaine dernière, il se demandait s’il n’aurait pas mieux fait d’y rester.
Linda Maziz