En ville

Le maire répond à Sans crier gare

Samira Marquaille demandait à Didier Paillard de sanctionner l’élu Madjid Messaoudene pour ses prises de position post attentats. Ce ne sera pas le cas.
Didier Paillard
Didier Paillard

La présidente de l’association Sans crier gare a écrit (lire ci-dessous) au maire le 18 janvier pour lui demander de « condamner publiquement les propos de M. Madjid Messaoudene » et de lui retirer sa délégation de conseiller municipal en charge de la lutte contre les discriminations et à l’égalité des droits. Mme Marquaille accusait l’élu d’avoir, sur l’antenne de France Info, le 14 janvier, « osé remettre en cause la protection renforcée des écoles et lieux de culte juifs, allant jusqu’à prétendre qu’il s’agissait d’une discrimination à l’égard des musulmans ». 

Sans crier gare reprochait aussi une « campagne haineuse contre l’imam de la mosquée de Drancy ». Didier Paillard a répondu dans une longue lettre (lire ci-dessous) le 23 janvier. Dans ce courrier , il conteste l’accusation de SCG. M. Messaoudene « n’a en aucune façon, comme vous l’écrivez, remis en cause la protection renforcée, mais il a insisté sur le besoin que les lieux de culte musulmans, en proie à une série d’attaques, fassent l’objet des mêmes mesures », écrit-il. Didier Paillard admet que l’on « peut discuter » de la forme des propos mais estime qu’ils « n’opposent pas sur le fond nos concitoyens ».


Laïcité et devise de la République

S’agissant de l’imam de Drancy, dont M. Messaoudene conteste la légitimité, le maire précise que les déclarations du conseiller municipal « n’engagent que lui ». L’essentiel du courrier de Didier Paillard revient sur la laïcité et sur la devise de la République. « Le paradoxe, écrit-il notamment, c’est que ceux qui condamnent le plus le communautarisme sont ceux qui l’alimentent par leurs projets politiques qui creusent les inégalités sociales, scolaires et territoriales ». Madjid Messaoudene a confié au JSD qu’il va proposer une rencontre à Sans crier gare pour débattre.

D.Sz


La lettre de Sans crier gare

Monsieur le Maire de Saint-Denis,

Notre association « Sans crier Gare », totalement engagée dans la lutte contre les discriminations et pour l’égalité, tient à vous faire part de l’indignation de nos adhérents et de tous les habitants de Saint-Denis qui s’impliquent dans nos actions. Les propos du conseiller municipal, élu sur votre liste, Madjid Messaoudene sur France Info le mercredi 14 janvier dernier ainsi que le discours qu’il développe sur son blog et son compte twitter sont insupportables pour tous ceux qui œuvrent pour le mieux vivre ensemble.

M. Messaoudene a osé remettre en cause la protection renforcée, dans les circonstances actuelles, des écoles et lieux de culte juifs, allant jusqu’à prétendre qu’il s’agissait d’une discrimination à l’égard des musulmans. Il oppose, une fois de plus, les habitants de notre pays sur une base religieuse. Il cherche à attiser les conflits qui peuvent malheureusement surgir entre nos concitoyens.

M. Messaoudene mène une campagne haineuse depuis des semaines et encore plus ces derniers jours contre M.Chalgoulmi, imam de la mosquée de Drancy, avec des insultes souvent à connotations racistes. Ce discours presque obsessionnel met notamment en cause les déclarations de cet imam en faveur de la laïcité, des principes républicains et du dialogue entre les religions.

Nous vous demandons, M. le Maire, de condamner publiquement les propos de M. Madjid Messaoudene qui ne peuvent en aucun cas être assimilés à la position officielle de la ville de Saint-Denis. Nous vous demandons de lui retirer la délégation à la lutte contre les discriminations et à l’égalité des droits que vous lui avez confiée, les propos de ce conseiller municipal le disqualifiant de façon évidente pour avoir la charge de cette délégation.

Recevez, M. le Maire, l’expression de nos salutations respectueuses

Samira Marquaille

Présidente

Saint-Denis, le 23 janvier 2015

Madame Samira MARQUAILLE

Présidente de l’Association Sans Crier Gare



La réponse de Didier Paillard

Madame,

J’ai pris connaissance du courriel que vous m’avez fait parvenir le 18 janvier 2015 et par lequel vous me faites part de votre opposition aux propos tenus par Madjid Messaoudene, conseiller municipal de Saint-Denis. Vous me demandez de lui retirer sa délégation à la lutte contre les discriminations et à l’égalité des droits.

D’où qu’elle vienne, je ne partage pas la radicalité avec laquelle s’expriment les appels à la modération des propos ou à la disqualification de telle ou tel interlocuteur. La liberté d’expression, la vigueur du débat démocratique, ne sauraient éclipser l’essentiel à savoir que l’ensemble des démocrates de notre république partagent le même refus de la barbarie, de la haine et des amalgames et la même solidarité envers les victimes et leurs proches.

Les dix-sept assassinats barbares de citoyens de toutes convictions, origines et confessions, tués parce que libre penseurs, parce que policiers, parce que juifs, révulsent et rassemblent l’ensemble de notre société dans la conscience que les libertés d’expression et de conscience sont nos biens les plus précieux.

Dans un entretien accordé à la radio France Info le 14 janvier 2015, M. Messaoudene intervenait, aux côtés du député Olivier Faure, sur le thème « L’Islam doit-il se réformer ? ». Dans ce cadre, il n’a en aucune façon, comme vous l’écrivez, remis « en cause la protection renforcée des écoles et lieux de culte juifs ». Il a insisté sur le besoin que les lieux de culte musulmans, en proie à une série d’attaques, fassent l’objet des mêmes mesures. Au-delà de leur forme que l’on peut discuter, ces propos sur le fond n’opposent pas nos concitoyens. Ils soulignent l’égale protection que la république doit aux cultes aujourd’hui attaqués.

Quant aux déclarations concernant M. Chalgoulmi, iman de Drancy, elles ont été éditées par Madjid Messaoudene sur son compte personnel Twitter et sur son blog. Lors de l’entretien sur France Info, M. Messaoudene a également interrogé la légitimité de M. Chalgoulmi à s’exprimer au nom des musulmans et il a invité les médias nationaux à « être prudents » quant au choix de leurs interlocuteurs. Ces déclarations n’engagent que M. Messaoudene qui, comme tout citoyen, dispose de sa liberté d’expression. Vous manifestez votre désaccord quant aux propos tenus. Je vous invite à lui en faire part directement, à vous rencontrer pour engager un échange contradictoire et j’en suis convaincu révélateur de votre accord sur l’essentiel.

Au-delà je partage votre vigilance quant à la lutte contre toutes les formes de discriminations. La municipalité de Saint-Denis promeut la laïcité comme permettant le respect et le dialogue entre toutes les convictions et confessions.

La laïcité c’est la liberté. La liberté de conscience d’abord et avant tout. Celle de croire ou de ne pas croire. La liberté de culte aussi. Saint-Denis illustre tout le champ de cette liberté qui va de la libre pensée, avec les conférences de l’université populaire de la Dionyversité, aux constructions en cours d’une mosquée et d’une Maison de l’Eglise.

La laïcité c’est l’égalité. L’égalité entre les différentes croyances ou incroyances, garantie par la séparation des églises et de l’Etat et la neutralité de ce dernier.

La laïcité c’est la fraternité. Elle crée les conditions favorisant le vivre ensemble. Elle est une pédagogie du respect qui affirme que les idéologies fondamentalistes ne sont pas la religion et que la foi des individus libres n’est pas le dogme des hiérarchies religieuses. Dans notre ville où chaque jour vivent, étudient et travaillent 14.000 écoliers et des citoyens de 130 nationalités différentes, la laïcité est un bien commun, un facteur de cohésion dans la pluralité. Cette fraternité humaine est indispensable au bien précieux qu’est la paix. Dans beaucoup d’endroits du monde l’absence de laïcité est synonyme d’oppression des minorités par la majorité, voire de guerre.

Cette belle laïcité est vivante. Elle appartient à tous et nous devons être vigilants face à ceux qui voudraient l’instrumentaliser comme un facteur de division. La responsabilité des militants progressistes de la laïcité est d’enraciner leur engagement dans celui plus vaste de la lutte contre les inégalités.

L’harmonie entre la devise liberté, égalité, fraternité et le principe de laïcité, ne peut souffrir que d’une seule chose, le non respect par la République de sa promesse d’émancipation et d’égalité réelles. La casse de l’emploi et de notre système de protection sociale, l’affaiblissement de l’Education nationale, renvoient beaucoup de personnes à des solidarités et une éducation privées, familiales, voire communautaires. Le paradoxe c’est que ceux qui condamnent le plus le communautarisme sont ceux qui l’alimentent par leurs projets politiques qui creusent les inégalités sociales, scolaires et territoriales.

La laïcité s’inscrit dans notre engagement pour l’égale dignité des êtres humains. Cet engagement, au fondement de nos convictions, nous verra toujours refuser d’un même front et d’où qu’elle vienne, toute forme de racisme, de sexisme, de discriminations, d’antisémitisme, d’islamophobie ou d’homophobie.

C’est ce principe d’égale dignité, sa constance et son unicité qui protègent les minorités sexuelles, confessionnelles, de genre ou d’origine, et qui garantissent le droit à la différence, comme celui à l’indifférence paisible. C’est ce principe en acte qui nous a conduits à soutenir le mariage pour tous, à accompagner le projet de grande mosquée pour que les Dionysien-ne-s de confession musulmane disposent d’un nouveau lieu de culte beau et digne, à accompagner chaque année les associations dionysiennes autour de la quinzaine antiraciste et solidaire, à combattre le colonialisme et le néo-colonialisme en Afrique comme en Palestine, à porter une mission droits des femmes et des actions promouvant l’égalité femmes / hommes, à organiser le premier référendum d’initiative locale en faveur du droit de vote de nos concitoyens étrangers non européens.

En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie de recevoir, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

Didier Paillard



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