Portrait
Nathalie Bontemps, sa part syrienne
Dionysienne depuis peu, Nathalie Bontemps donne des cours d’arabe à Aleca(Association laïque d’enseignement et de culture arabe) à la Maison de la vie associative. Elle a vécu huit ans à Damas (Syrie) et, auparavant, avait effectué plusieurs séjours au Maroc, en Égypte, au Liban.
« J’ai toujours été attirée par la littérature arabe et j’avais envie que ça débouche sur la connaissance des gens », dit-elle. Est-ce par son père, qui passa un an en Algérie au début de l’indépendance comme instituteur au titre de la coopération ? Toujours est-il que Nathalie s’est lancée dans des études de littérature arabe.
Elle effectue des travaux de traduction puis décroche une bourse pour partir un an à l’Institut français du Proche Orient à Damas. Nous sommes en 2003 et elle y restera jusqu’en 2011. « Un an, c’était trop court, alors j’ai trouvé un poste de professeure au centre culturel français. »
Dans le même temps, elle poursuit ses études et continue ses traductions. La vie dans la capitale syrienne lui plaît. « La société damascène est multiple. Les Syriens ont l’expérience de la différence, de l’altérité, ils ont l’habitude de voir d’autres gens qui ne vivent pas comme eux », témoigne-t-elle.
Nathalie vit une belle aventure humaine, rencontre son mari, Syrien, aime sa vie. « À Damas, on se fond dans la ville, on n’attire pas les regards, je me sentais à l’aise. D’autant que les excès liés au tourisme de masse n’existent pas », ajoute-t-elle. Mais ce qui existe bien, c’est la chape de plomb du pouvoir, l’étouffement politique, la répression omniprésente.
« Rien ne pouvait se faire sans l’autorisation de la police secrète, jusqu’aux événements familiaux. » Elle cite l’exemple de ces jeunes qui souhaitaient créer une bibliothèque. Impossible. De ces villageois qui voulaient organiser le ramassage des ordures. Impossible. « Toute initiative citoyenne, notamment culturelle, était brisée. »
Avec un régime aussi scindé de la société, on comprend mieux pourquoi la révolution a éclaté. Dès mars 2011, les manifestations pacifiques sont férocement réprimées. L’information circule par le bouche à oreille, Internet, les téléphones mobiles. Des réseaux de solidarité se créent pour venir en aide aux familles victimes de la répression, aux détenus, aux déplacés, aux victimes de torture. « Ce n’est pas une guerre civile, c’est une guerre faite aux civils ! »
Nathalie et son mari, poète et traducteur, doivent quitter le pays en novembre 2011. Ils partent en Jordanie, puis arrivent en France en juillet 2012 et à Saint-Denis en septembre. Où elle monte aussitôt ChamS (soleil) collectif Syrie, un relais français de l’un de ces réseaux syriensde solidarité.
Outre ses postes de professeur à Aleca et à l’Institut des cultures d’islam à Paris, elle a traduit récemment Treize ans dans les prisons syriennes, d’Aram Karabet (Actes Sud, 2013), « un défenseur de la Syrie multiple », précise-t-elle (1). Et elle révèle travailler à des écrits personnels, sur les quartiers de Damas.
Heureuse d’être à Saint-Denis et de l’accueil qui lui a été fait, qui a facilité son retour, confie-t-elle, une part d’elle est restée en Syrie. « Malgré la répression inouïe et la confusion désespérante qui y règne, le mouvement civil ne s’est jamais arrêté, envers et contre tout », dit-elle, avec de l’admiration dans la voix.
Benoît Lagarrigue
(1) Ainsi que Les miroirs de Frankenstein, autobiographie du poète libanais Abbas Beydoun, toujours chez Actes Sud (2013).