Portrait

Marion Gomar /
/ Voix rêvée

Chanteuse lyrique: petite, elle s’imaginait en diva d’opéra. En ce moment à l’affiche d’une pièce au théâtre du Rond-Point, elle incarne avec talent et malice une cantatrice finlandaise.
MARION GOMAR
MARION GOMAR


« Je veux être diva d’opéra et avoir un palais à Venise. » À 5 ans, Marion Gomar est catégorique. Un voisin lui a offert un CD de Maria Callas. « J’ai eu un coup de foudre. » Le souvenir illumine son beau visage. Ses parents sont surpris : Sonia et André, communistes et militants, écoutent plutôt de la musique ethnique, Oum Kalthoum ou Lili Boniche. La petite s’accroche à son rêve. « J’étais insupportable, je chantais tout le temps. »


À 29 ans, Marion est à l’affiche de Ciel ! Mon placard au théâtre du Rond-Point (1). Dans ce vaudeville déjanté, elle est la « cantatrice finlandaise » et ponctue de respirations musicales les scènes. Ou plutôt de vocalises et de souffle, tant sa voix est claire et puissante. « Je suis Falcon. Pour situer, c’est entre la soprano dramatique et la mezzo. » Une tessiture liée à des rôles wagnériens, notamment. Ça tombe bien, elle adore le compositeur allemand. Dans la pièce, elle a imposé un morceau de rap. « Mon caprice. » Ado, elle prenait des cours de danse hip-hop à la Ligne 13. « Je fréquentais aussi L’Écran et le TGP », avant qu’elle n’emménage avec sa famille en centre-ville de Saint-Denis, à 14 ans. Elle a en effet passé son enfance à la Porte-de-la-Chapelle. 

« Je suis Falcon. Pour situer, c’est entre la soprano dramatique et la mezzo. »

« À la maison, c’était l’auberge espagnole. Je baignais dans une sorte d’intelligentsia culturelle. » Quand elle a 6 ans, en CE1 (bonne élève, elle a sauté une classe), son père tombe sur une annonce de la Maîtrise de Paris pour ses classes à horaires aménagés musique (CHAM). Sa candidature n’est pas retenue. Sauf qu’à sa rentrée en CE2, à la faveur d’un désistement, elle est convoquée pour une audition « le lendemain » ! Branle bas de combat chez les Gomar. Elle présentera la comptine Tchou Tchou dans le train en bonne fille de cheminot qu’elle est. Ses parents redoute sa déception. Ils n’imaginent pas qu’une fille de « prolos » puisse intégrer ce milieu. Elle, confiante, sort de l’entrevue pouces levés : « C’est dans la poche ! » Ultra motivée, elle a séduit le directeur : « Elle est trop drôle. »

Dans cette école du 8e à Paris, elle apprend la musique quatre heures par jour : piano, solfège, chant, chœur… « Une grosse formation, et gratuite. J’ai fait toute ma scolarité dans le public », revendique-t-elle, fidèle à la fibre familiale militante.À 17 ans, bac littéraire en poche, elle quitte la Maîtrise de Paris pour changer de voie. « Je me disais que si je faisais de la musique mon métier, cela cesserait d’être un plaisir. » Psycho à Jussieu. Pionne dans un lycée. Militante à la JC, contre le Traité européen, pour les usagers de la ligne 13… « Des semaines de 90 heures. » Elle s’inscrit tout de même au conservatoire de Pantin « un repère de cocos ». 

Sa prof de chant croit en elle et lui conseille d’arrêter la fac. Alors, en 2006, elle stoppe sa licence pour revenir à la musique, au conservatoire de Boulogne.La formation de chanteur lyrique, exigeante et coûteuse, impose un séjour à l’étranger. En 2010, dans le cadre d’Erasmus, elle s’installe à Leipzig « la ville la moins chère de l’ex Allemagne de l’Est ». Elle y rencontre « une prof extraordinaire » qui lui apprend la liberté du chant, de la scène. Décroche une bourse au mérite, valide un master chant opéra. En 2014, retour au bercail, « l’humour et la bouffe me manquaient », à Saint-Denis, « j’ai du mal à m’imaginer ailleurs ». 

L’Hexagone est riche de projets passionnants, mais mal ou non payés. « C’est un acte militant de chanter en France ! » Et davantage encore dans le 93. Elle se souvient avec émotion d’un concert donné en 2007 aux 4 000 dans le cadre de « 10 mois d’école et d’opéra ». Une quarantaine de gosses a entonné avec elle Voi che sapete, de Mozart. « C’est pour ça que je fais ce métier. » Même si Marion n’est pas cette diva de palais vénitien qu’elle se rêvait petite fille. 

Patricia Da Silva Castro

(1) Ciel ! Mon placard, de Nicole Genovese, jusqu’au 18 octobre au Rond-Point (Paris 8e). http://www.theatredurondpoint.fr/