Portrait
Bonifon N’Katta-Basile/
Sans toit mais droit
Depuis lundi, Bonifon N’Katta-Basile, comme le reste de la population dionysienne, est déconfiné. Mais pour lui ça ne change pas grand-chose. Le confinement, il l’a passé sous un pont de l’A86, à deux pas de la tour Pleyel. C’est là qu’il vit depuis sept longues années. Cela fait près de quinze ans que Bonifon n’a plus de toit au-dessus de la tête. Difficile à croire tant l’homme apparaît en pleine forme pour ses 65 Saint-Valentin (il est né un 14 février). Le bruit assourdissant de l’autoroute, la pollution, le froid, les privations. Bonifon endure avec le sourire et dans la dignité.
« Il est très discret et ne fait aucune histoire, raconte Massiva, venue lui apporter un panier-repas salvateur en ce dernier lundi de confinement (1). Je l’ai rencontré il y a un an. Tous les gens du quartier le connaissent et l’aident. Il est très touchant. Il tient par exemple à nettoyer le passage sous-terrain parce qu’il ne veut pas qu’on dise que s’il est sale c’est par sa faute. »C’est justement dans le nettoyage que Bonifon a longtemps travaillé avant de se retrouver à la rue. « J’ai quitté la Côte d’Ivoire pour la France le 28 juin 1981, se remémore le sexagénaire avec précision. Je voulais poursuivre mes études et apprendre la langue française. Ma sœur qui habitait le 7e arrondissement m’a aidé dans les premiers temps. Malheureusement, quand j’ai voulu changer mes papiers étudiants pour entrer dans la vie active, j’ai échoué. Cela ne m’a pas empêché de travailler pour de nombreuses sociétés de nettoyage. J’ai d’ailleurs regroupé toutes les attestations. Mais ça n’a jamais suffi. »
Bonifon est donc sans papiers depuis plus de trente ans. Il n’a jamais revu la Côte d’Ivoire ni ses deux enfants laissés au pays. Sa sœur, qui habite désormais à Levallois, ignore la réalité de ses conditions de vie, « parce que c’est la honte ».
Cuisine, chambre, salles de bain
Après avoir longtemps erré dans le métro, Bonifon s’est donc fixé sous son pont dionysien et tente d’y reproduire un semblant de normalité. Entre les blocs de béton anti voiture bélier entreposés là, il s’est aménagé un véritable coin cuisine. Avec du bois de récupération et des parpaings, il s’est créé un réchaud de fortune et prépare le café ou le riz. La « salle de bains » se trouve au pied du pylône d’éclairage de l’autoroute, derrière les bâches de protection, à l’abri des regards. Il en a cadenassé l’accès pour éviter de se faire dérober ses effets personnels : « Ça m’est arrivé plusieurs fois. » Le soir venu, Bonifon se glisse dans une sorte de boîte de bois et de béton, dont il ferme le couvercle pour se protéger des rongeurs et de la lumière des spots qui illuminent le passage. Son esprit débrouillard et son caractère affable lui ont permis de survivre à peu près décemment dans une telle précarité.
« Les habitants et les salariés du quartier sont très sympas avec moi. Ils m’aident avec un peu d’argent, des couvertures ou de la nourriture. » D’ailleurs tous ceux qui passent sous l’autoroute ce jour-là prennent soin de le saluer, de loin, gestes barrières obligent. En hiver, malgré le froid, Bonifon préfère rester sous son pont de peur de « perdre [son] endroit ». Un « refuge » où il est sagement resté également pendant les deux mois de confinement, « pour éviter de prendre le virus. Le problème, c’est que pendant un bon moment je ne voyais plus passer ni habitants ni salariés ».
Depuis lundi, Bonifon peut reprendre son vélo et se dégourdir un peu les jambes avec toujours l’espoir chevillé au corps de sortir de cette situation. « Je suis prêt à retravailler, faire du ménage pour avoir un toit et à manger. » Une solution d’autant plus indispensable qu’un nouveau péril pourrait le menacer. Le démarrage des travaux d’aménagement du nouvel échangeur autoroutier en vue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, pourrait déloger sous peu Bonifon. Des Jeux auxquels prétendrait le sans-abri dionysien s’il y avait une catégorie vétéran. «
Ne bougez pas, je vais vous faire soixante pompes sur les deux doigts », lance confiant dans sa constitution de fer le « gardien du pont ». Il entrouvre sa veste, déboutonne légèrement la chemise, se met en position et se lance dans une impressionnante série. 57, 58, 59, 60. Bonifon, quinze années à la rue, mais toujours fier.
Yann Lalande
(1)
Membre de l’association Dessine moi Pleyel, parent d’élève à l’école Anatole-France, Massiva a participé à des distributions de repas et de paniers alimentaires deux fois par semaine pendant tout le confinement, dans le cadre d’un partenariat avec la Banque alimentaire (les denrées étaient stockées dans le gymnase du collège Dora-Maar). Elle aspire à ouvrir une épicerie solidaire après le confinement.
Réactions
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