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Quel avenir pour la maison Coignet ?
C’est une maison salement abîmée. Des arbustes se déversent par ses fenêtres éventrées. Les pans de murs qui ne sont pas recouverts de graffitis semblent sur le point de s’affaisser. Le jardin a lui été creusé pour éviter de nouvelles occupations illégales. Bref, rien qui ne semble très glorieux. Et pourtant, la maison Coignet est le témoin, certes bien vieilli, d’une époque d’invention et de révolution sur le territoire de Saint-Denis.
À 5 minutes de la gare, elle est le fruit de l’imaginaire et de l’ambition d’un homme : François Coignet. Ingénieur, chef d’entreprise et en même temps fouriériste (du nom Charles Fourier, un des penseurs du socialisme, avant Marx), François Coignet est un véritable personnage de roman. Héritier d’une famille d’industriels qui a fait fortune dans les produits chimiques – gélatine et colle à base d’os d’animaux – et les allumettes, Coignet va dédier sa vie à développer un nouveau matériau qui aurait des propriétés universelles : le béton.
Construire à moindre coût
Il faut se remettre dans le contexte : à l’époque, les habitations urbaines sont construites en pierres ou en briques. Et le béton qui est aujourd’hui un des matériaux de construction les plus utilisés au monde, n’en est qu’à ses balbutiements. C’est en construisant sa troisième manufacture de produits chimiques, à Saint-Denis, que ce Lyonnais de naissance développe l’idée d’un nouveau matériau, le « béton aggloméré » (ou pisé). La technique de construction est séculaire : de la terre crue, tassée dans un coffrage en bois. Après huit ans d’expérimentation, Coignet trouve un matériau efficace pour remplacer la terre : un béton de réemploi, en mâchefer, c’est-à-dire les déchets de charbon industriels, et un enduit de chaux. Pour l’ingénieur, l’idée était de construire à moindre coût.
« Dès l’origine, le béton est une utopie sociale pour François Coignet ! Son ambition : pouvoir faire quelque chose d’économique, qui permette de faire plus de logements, plus d’équipements, pour améliorer la vie des gens », souligne son arrière-arrière-petit-fils, Emmanuel Sala, 55 ans et président de l’association La Maison Coignet. En 1853, il fait donc construire une maison de deux étages, pour prouver que sa vision est sensée. Cette maison, c’est celle que l’on appelle aujourd’hui la Maison Coignet (même s’il n’y a probablement jamais vécu). 300 mètres carrés, sur 3 niveaux. Il y a même un toit terrasse.
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Trop en avance sur son temps
Malheureusement, si Coignet était bien un précurseur sur l’utilisation du béton, « il sera un peu trop en avance sur son temps. Il est mort en 1888 en ayant l’impression d’un échec », regrette son descendant. Il aura quand même fait quelques essais concluants : un immeuble en béton sablé à Paris, un autre à Saint-Denis rue Charles-Michels, remarquablement bien restauré en 2015 en respectant les techniques originelles de construction. Mais aussi 200 kilomètres d’égouts à Paris, Mulhouse et Bordeaux, la digue de la baie de Saint-Jean-de-Luz. Alors qu’il s’éteint, en cette fin de XIXe siècle, est inventé le béton armé, qui allie béton et barres d’acier, et qui deviendra un des matériaux les plus utilisés pour le bâtiment et le génie civil. De ce rêve de révolution du béton pisé, il demeure donc, entre autres, cette maison, inscrite aux Monuments historiques.
La Ville de Saint-Denis a adhéré à l’automne 2018 à l’association La Maison Coignet qui a pour objectif de la réhabiliter. Patrick Vassallo, maire adjoint au développement économique, est très optimiste quant à l’avenir de la bâtisse. Reste encore à trouver des financements. Le budget aurait été évalué à 2 millions d’euros pour la réhabilitation, une broutille si l’on compare aux « 16 milliards d’investissements que vont apporter les JO 2024 et la construction du Grand Paris Express », ajoute l’adjoint. Une fois réhabilitée, la maison Coignet pourrait devenir « un éco-musée qui raconterait l’histoire des matériaux de construction, du béton à l’imprimante 3D », estime Patrick Vassallo. Et pourquoi pas remettre la vision de Coignet dans la grande histoire de la construction.
Arnaud Aubry