Cultures
Nabil Ennasri lance « Sept défis capitaux »
Qu’est-ce qui, aujourd’hui, mobilise les musulmans de France ? Dans un « essai à destination de la communauté musulmane », Nabil Ennasri, diplômé de sciences politiques de l’IEP d’Aix-en-Provence et président du Collectif des musulmans de France, évoque sept thèmes, « Sept défis capitaux » (1).
Tout d’abord, l’éducation spirituelle. Ennasri plaide pour une formation islamique qui ne soit pas réduite à « un corpus de règles rigides et tranchantes », ni à des dérives mystiques. Pour cela, le statut des imams doit être amélioré : « Rares sont les mosquées qui peuvent compter sur un imam né et scolarisé en France, qui soit diplômé en sciences islamiques et titulaire dans le même temps d’un minimum de bagage politico-social. » Deuxième sujet : l’islamophobie. Ennasri en distingue trois types : diffuse, médiatique et politique. Pour la première, « nous avons affaire à un sentiment de crainte et à un malaise. La société française est d’abord malade de son ignorance envers l’islam (elle-même alimentée par des médias qui jouent sur le registre du fantasme). Tout un pan de notre quotidien doit agir dans le but de faire œuvre de pédagogie, d’ouverture et d’entre-connaissance ».
Quant à la forme politique, c’est celle qui fait le plus de dégâts car elle « libère la parole islamophobe en multipliant les déclarations à l’emporte-pièce ». Le moyen de lutter ? C’est l’objet du troisième chapitre : La participation politique des citoyens musulmans. Après avoir rappelé la légitimité islamique du vote, Ennasri regrette l’abstention fréquente des musulmans : la clé de l’acceptation des musulmans n’est pas, « comme le suggèrent certains responsables communautaires, dans leur disparition visuelle de l’espace public, mais plutôt dans l’affirmation sereine, décomplexée et contributive de leur identité ». Refusant la constitution de listes communautaristes, Ennasri plaide pour que les élections municipales soient l’occasion de « mobiliser la communauté musulmane tant sur la question de l’inscription sur les listes électorales mais également sur la contribution effective tant dans l’élaboration des différents programmes que dans l’interpellation des candidats ».
Le chapitre cinq concerne la représentativité musulmane. Après un portrait au vitriol de Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy, en faux radical devenu vrai opportuniste, Ennasri renouvelle la critique virulente du Conseil français du culte musulman: son manque de légitimité, les luttes d’influence qu’y livrent les consulats étrangers…
Le chapitre suivant concerne un sujet qui mobilise massivement les musulmans, et au-delà : la Palestine. L’auteur rappelle « que cet engagement ne doit en aucun cas être un prétexte pour justifier ne serait-ce qu’une once d’antisémitisme ou plutôt d’antijudaïsme. Même s’il reste mineur dans la communauté, ce sentiment doit être combattu afin d’éviter qu’il ne se répande, en rappelant que l’antijudaïsme n’est pas islamique. Nous luttons contre un État qui est le fruit d’une entreprise de colonisation et qui a généralisé des pratiques dignes de l’Apartheid ». Ennasri invite ensuite à ne pas réduire la cause palestinienne à une question purement humanitaire. « Prenant explicitement exemple sur le précédent sud-africain, la campagne “Boycott, Désinvestissement, Sanctions” est partie de ce constat qu’il fallait redonner un second souffle à la résistance palestinienne en engageant une campagne de boycott d’Israël qui devrait être déclinée dans tous les pays. »
L’autre grand sujet international qui concerne le chapitre six – les révoltes arabes et plus particulièrement le cas de la Syrie – est bien plus complexe. Au rythme où vont les événements dans le Levant, il n’est même pas certain que l’analyse soit encore d’actualité. Ennasri s’applique en tout cas à démonter les théories du complot et autres délires colportés par quelques personnalités néfastes comme Soral.
Enfin, le dernier chapitre concerne un sujet qui, de l’aveu même de l’auteur, ne fait pas partie des préoccupations des musulmans : l’écologie. « Des synergies se croisent et un véritable mouvement exégétique traverse toutes les traditions religieuses de la planète pour mettre en avant la protection de l’environnement », notamment en ce qui concerne la consommation de viande « halal » : « Que signifie en effet de voir dans son assiette la viande d’une bête qui aurait été sacrifiée selon les règles de la jurisprudence mais dont l’existence aurait été synonyme de cauchemar tant les conditions de vie du bétail sont aujourd’hui horribles. Cette réflexion pousse de plus en plus de musulmans à bannir de leur assiette la viande traditionnelle en privilégiant l’agriculture biologique, le circuit des AMAP ou le tout nouveau marché du bio-halal. »
Sébastien Banse
(1) Nabil Ennasri, Les 7 défis capitaux, essai à destination de la communauté musulman de France. Mars 2014, 13,50 €.