En ville
Réforme du lycée /
Les ordis ne font pas que des ravis
« Le prof va pouvoir voir ce qu’on fait sur nos ordis quand on est chez nous ? » « Ah, je n’espère pas, j’ai autre chose à faire ! », répond cette professseure d’histoire-géo du lycée Paul-Éluard à l’un de ses élèves. Comme 42% des élèves de 2de et 1re générale d’Île-de-France, il vient de recevoir un ordinateur (ou une tablette) – offert par la Région – qui remplacera le traditionnel manuel scolaire. Mais cette enseignante n’est pas ravie : « Cette rentrée se fait dans des conditions abominables, tout s’est fait dans la précipitation », confesse-t-elle. Problème : seule sa classe de 1re du lycée a reçu le matériel. C’était le mardi 10 septembre. Valérie Pécresse, présidente du conseil régional, est venue en personne remettre ces premiers PC. « Un coup de com’ » jugent des parents d’élèves et des professeurs venus devant le lycée pour protester. « Sur les 40 classes qui attendent leur matériel, il n’y en a qu’une qui le reçoit aujourd’hui, c’est une véritable mise en scène », déplore Karim Drissi, père d’un fils en terminale.
150 millions d’euros investis
« La Région le fait pour gommer les inégalités », commente Valérie Pécresse à la trentaine d’élèves accompagnés par une poignée de parents assis dans l’un des petits amphithéâtres du lycée. Les PC contiennent les manuels scolaires disponibles sans connexion Internet, des logiciels pour apprendre l’anglais de manière ludique, pour approfondir les mathématiques ou bien encore un outil informatif sur l’orientation. Chaque ordinateur ou tablette, confiée gratuitement, coûte environ 340 euros, soit un investissement de 150 millions d’euros sur trois ans pour la Région. Les lycéens en ont la totale responsabilité jusqu’à la terminale et peuvent ensuite le conserver.
Lire aussi : Saint-Denis, 6e ville étudiante la plus chère de France
Le choix de passer au numérique ou de conserver les manuels papier a été proposé aux établissements généraux et technologiques en mai 2019. Les lycées professionnels, eux, non pas eu le choix de passer au numérique. Mais les enseignants de Paul-Éluard auraient voté « contre la numérisation du lycée », selon une professeure.
« Il y a eu un simulacre de vote au conseil d’administration (CA), les parents n’étaient même pas là », relate un prof élu au CA. « On ne dénonce pas le numérique en tant que tel, mais on reproche la façon dont c’est mis en place », proteste une mère de famille. « Les équipements sont insuffisants dans les classes, il n’y a pas de prises, il n’y a pas de WiFi. »
« C’est bien que tous les gamins aient des ordis, mais comment on s’en sert ? », renchérit un prof de maths qui déplore l’absence de formation des enseignants au « tout numérique ». Valérie Pécresse le reconnaît, « on avance en marchant ». Elle assure que la totalité des PC seront remis aux élèves de Paul-Éluard le 20 septembre. Le nouveau proviseur de l’établissement promet, lui, l’installation « prochaine » du réseau Internet.
Des risques de racket
« Pourquoi certains parents sont restés bloqués devant le lycée ? », demande un élève à la présidente régionale. Ils sont en effet une dizaine, accompagnés de professeurs, à être restés devant l’établissement pendant la remise des ordis. Valérie Pécresse les reçoit finalement à huis-clos une vingtaine de minutes. « Nous n’avons pas eu de réponses à nos préoccupations, témoigne, à l’issue de l’entretien, Malika Chemmah dont la fille entre en 2de. Il n’y a pas d’accompagnement pour la mise en place du numérique, ni même de concertations. »
De plus, pour cette mère de famille, les risques de convoitises sont réels. « J’ai peur que ma fille se fasse agresser. » « Avec tous les problèmes de violence que l’on rencontre, je vais demander à mes élèves de ne pas les apporter en classe », confesse même un enseignant. Des agressions ont déjà eu lieu, les lundis 2 et 9 septembre, sur deux élèves du lycée Paul-Éluard à proximité de l’établissement.
Les élèves propriétaires d’un tout nouvel ordinateur sont eux, pour le moment, bien loin de ces préoccupations. Ils abordent tous un tote bag aux couleurs de la Région. Tous, sauf un : « Ils n’ont pas laissé ma mère entrer alors je n’ai pas pu récupérer mon PC. J’ai besoin de sa signature… »
Lire aussi : Une rentrée tendue dans le secondaire
Olivia Kouassi
Réactions
georges (Pseudonyme non vérifié)
16 septembre 2019
Horta (Pseudonyme non vérifié)
18 septembre 2019
Réagissez à l'article