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Expérimentation
/ La précarité menstruelle en question

Au moins 1,7 million de femmes en France sont victimes de précarité menstruelle selon l’association Règles élémentaires. Pour lutter contre cette forme de précarité qui touche les femmes de tout âge, des initiatives fleurissent. Comme la distribution de protections périodiques gratuites.
© Yslande Bossé
© Yslande Bossé

« L’IUT de Saint-Denis commence, les autres suivront », plaisante avec modestie Samuel Mayol, directeur de l’Institut universitaire technologique Paris 13. L’établissement qui compte 2 000 étudiants (tous genres confondus) met à disposition des kits de protections périodiques entièrement bio. L’initiative, communiquée le 17 novembre sur le compte Twitter de l’IUT, est présentée comme un moyen de « lutte contre la précarité menstruelle, sujet réel et sérieux ».

Selon un sondage Ifop paru en 2019, plus de 1 jeune fille sur 3 en Île-de-France ne change pas suffisamment de protection ou a recours à l’utilisation de « protections de fortune ». « C’est un vrai sujet d’actualité », commente Margault, infirmière à l’IUT.

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 4 000 kits ont été livrés à l’établissement, par la marque de protection hygiénique bio Périodes (1). Créée il y a un an, elle vise à « lutter contre la précarité menstruelle et à démocratiser l’accès aux protections hygiéniques bio », précise Eva Ligouzat, l’une des créatrices de la marque qui fournit aussi des distributeurs de produits hygiéniques en carton à plusieurs types de structures en Île-de-France. Des pochons contenant 7 serviettes hygiéniques et 3 tampons sont à retirer à la demande à l’infirmerie. « Je peux aussi remplir les kits selon les besoins des étudiantes. L’intérêt est aussi, lorsqu’elles viennent me voir, de discuter de ces sujets-là et de créer une relation », exprime Margault.

Pour le moment, en raison des cours à distance, peu d’étudiantes se sont présentées à l’infirmerie. Mais, à la rentrée 2021, l’ambition de l’IUT est d’installer des distributeurs de protections hygiéniques dans les sanitaires réservés aux filles et de les faire fabriquer par des étudiants inscrits dans la filière Génie mécanique et productique.

« Ça pénalise les femmes »

Début novembre, le conseil départemental a inauguré la mise en place d’un distributeur de protections périodiques dans un collège de La Courneuve. Et, depuis cet automne, la Région expérimente l’installation de distributeurs de tampons et serviettes hygiéniques gratuits dans une trentaine de lycées franciliens. Objectif : lutter contre une forme « d’inégalité » qui touche les jeunes filles. Preuve que le sujet devient de moins en moins tabou ? Pour Anna (2), 14 ans, en classe de 2nde à Paul-Éluard, il est « inacceptable » que les protections ne soient pas gratuites. « Ça pénalise les femmes, ça devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Il y a des femmes SDF par exemple qui doivent choisir entre manger ou s’acheter des protections, ce n’est pas normal. » La lycéenne, qui explique « avoir toujours des protections » sur elle, estime qu’il « serait pratique » d’avoir un distributeur dans les sanitaires des filles.

À l’infirmerie scolaire du lycée Suger, le budget consacré aux protections périodiques est d’environ 80 euros par an. « Ça fait environ 400 serviettes pour l’année, estime Mme Thomas, infirmière depuis 2010. Ce sont des serviettes enveloppées qu’on achète à Carrefour. » Si l’achat mensuel d’un paquet de protection hygiénique « revient effectivement cher » en fonction de la composition du foyer, l’infirmière explique que la question de la précarité peut se mêler à des soucis plus anodins. « Parfois, il y a des adolescentes qui oublient de prendre leur protection quand elles vont à l’école et elles n’osent pas venir à l’infirmerie. » Mais la demande est bien réelle. Notamment pour les serviettes hygiéniques. « J’ai plein de tampons en réserve mais les filles ne prennent que des serviettes », s’étonne Mme Thomas.

« L’hygiène va toujours passer derrière l’alimentaire »

Lors de ses distributions de colis alimentaires et de produits hygiéniques à l’université Paris 13 Villetaneuse et à Paris 8, l’ONG humanitaire, Humanity Diaspo l’a remarqué : « Il y a beaucoup plus de filles qui préfèrent aujourd’hui mettre des serviettes hygiéniques que des tampons. On a des stocks de tampons qu’on n’arrive pas à écouler », renseigne Rana Hamra, co-fondatrice d’Humanity Diaspo. Selon elle, les étudiantes sont plus sensibilisées notamment sur la question de la dangerosité des tampons. La précarité hygiénique et menstruelle fait partie des nombreux projets que défend l’ONG dite « de développement TechFor Good et féministe ».

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Depuis le mois d’octobre, l’organisation qui vient principalement en aide aux femmes vulnérables, migrantes, en situation d’exclusion et de précarité, effectue des distributions solidaires (3) à la faculté de Saint-Denis, en partenariat avec Paris 8 et l’association Secours populaire. Afin d’évaluer et de répondre aux mieux aux besoins hygiéniques des étudiantes, l’ONG leur demande de répondre à un questionnaire sur le type de produits menstruels désirés.

« Pendant le confinement, on a eu des filles qui nous ont appelé en nous disant qu’elles n’avaient pas la possibilité d’avoir de serviettes, certaines mettaient du papier toilette, des morceaux de tissus. D’autres aussi n’osaient pas sortir après le déconfinement car elles n’avaient pas les moyens d’acheter des protections et n’osaient pas demander aux copines », explique Rana Hamra. L’hygiène va toujours passer après l’alimentaire, poursuit-elle. Les collectes de produits menstruels sont faites auprès de la société civile. L’ONG n’achète rien. « On est tributaire des dons que nos partenaires perçoivent », développe-t-elle encore. Mardi 1er décembre, l’ONG organisait son « Giving Tuesday » (4), journée de collecte solidaire notamment pour son projet de lutte contre la précarité hygiénique et menstruelle. Pour Rana, aujourd’hui, il y a une vraie « prise de conscience » du problème.

 

Yslande Bossé

1. leclubperiodes.com ; periodesforbusiness.com

2. Le prénom a été changé

3. Une prochaine distribution doit avoir lieu le 11 décembre à Paris 8

4. Journée mondiale de la générosité