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Première Marche des fiertés/
La banlieue sort du placard
« J’ai 58 ans. Je suis née à Saint-Denis. Je n’ai jamais vu une marche comme celle-là ! », s’exclame cette dame à l’arrivée du cortège sur le parvis de la basilique. Dimanche 9 juin, la Marche des fiertés en banlieue a été « couronnée de succès », s’est félicitée Saint-Denis Ville au Cœur, l’association à l’origine de cette première.
Un millier de personnes ont marché de la place de la Résistance jusqu’à la place de l’hôtel de ville. « Le pari est réussi. Il y a eu du monde. On est heureux que cela se soit bien passé », s’est réjoui Yanis Khames, soulagé et tout sourire comme le reste de son équipe associative. « C’est génial. Toutes les personnes LGBT [lesbiennes, gays, bi et trans]de banlieue sont représentées. Des gens non concernés sont aussi venus. C’est une preuve vivante que la banlieue est pleinement unie, loin des clichés et des fantasmes », renchérit Youssef Belghmaidi, étudiante trans de l’association dionysienne. « Il y a eu des remarques [homophobes]pendant la marche, mais personne n’a été emmerdé », souligne-t-elle. « Ils sont où les djihadistes ? », lance-t-elle comme boutade à ceux qui caricaturent Saint-Denis.
EN IMAGES : la Marche des Fiertés à Saint-Denis
« Le pari est réussi »
Passant par le boulevard Jules-Guesde, descendant la rue commerçante de la République, la foule arc-en-ciel – avec ses quelques drag-queens – a souvent arraché un sourire aux passants qui, en ce jour de marché, ne s’attendaient pas une telle démonstration dans les artères du centre-ville. « C’est superbe. Il y a plein de monde. Ma crainte, c’était qu’il n’y ait pas assez de personnes. Mais on a atteint une masse critique. Le pari est réussi. C’est coloré. Cela fait plaisir », rajoute Camille, queer dionysienne, qui explique vivre « sans emmerde » sa vie à Saint-Denis.
Comme le voulaient les organisateurs, la Marche a été résolument engagée et politique, à l’image des slogans vus et entendus pendant la manifestation, sans musique, ni chars. « Banlieusard.e.s et fier.e.s », « pas de racisme dans nos fiertés », « sortons de l’ombre pour vivre libre ! » ou encore « le périph’ n’a pas arrêté le sida ». « Il est important de rendre visible la communauté LGBT vivant en banlieue afin de lutter contre les LGBTphobies », souligne Julien Mechin de l’association Aides (qui lutte contre le sida), dont une antenne est installée à la gare de Saint-Denis.
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« Ce n’est pas pire en banlieue »
« Les LGBT existent et vivent depuis toujours dans les quartiers populaires : leurs luttes sont nos luttes et ils ne doivent pas être sacrifiés ou rendus invisibles. Mais on ne laissera pas plus instrumentaliser ce combat sous prétexte qu’il y aurait plus d’homophobie dans nos quartiers », défend Hanane, maman lesbienne du collectif Femmes en lutte 93, qui a fait un discours applaudi à la fin de marche. L’homophobie existe « partout », mais « ce n’est pas pire en banlieue, chez les musulmans ou les classes populaires. Laissez-nous tranquille. Nous prenons en charge ces questions dans nos familles et nos communautés », a-t-elle défendu. Pour elle, le « pire homophobe » de France, c’est l’État et ses institutions qui refusent par exemple de reconnaître la PMA (Procréation médicalement assistée) pour les femmes lesbiennes. « On a besoin de solidarité. Notre vie de placard doit s’arrêter », a-t-elle exhorté.
Vivant à Saint-Ouen, Franck s’est félicité de la tenue de cette première marche. « C’est important de vivre nos vies en banlieue, d’avoir nos lieux. Moi, je ne me sens pas représenté par le Marais à Paris, un milieu blanc, bourgeois, vieux », explique ce jeune, la vingtaine. Mais il regrette qu’il n’y ait pas eu davantage de personnes racisées de banlieue, noires et arabes, à la marche. « Après, c’est une première. On espère qu’ils seront plus nombreux la prochaine fois. » « Beaucoup de militants sont absents », note Gaëtan, la vingtaine également, qui rappelle la tribune du collectif Lesbiennes of Color sur les réseaux sociaux, qui critique, entre autres, certains soutiens à la marche, dont celui de la mairie. « En dehors de la marche, que fait la Ville pour les LGBT ? », résume Gaëtan. Camille pense que cette marche peut être une première pierre.
« Ce serait bien qu’il y ait un centre LGBT à Saint-Denis, un lieu refuge, d’accueil, pour les gens dans les banlieues qui sont isolés. » « La Ville doit mettre davantage de moyens », admet Madjid Messaoudene, élu dionysien en charge de la lutte contre les discriminations. Cette première marche passée, ils sont nombreux à attendre la deuxième édition.
Aziz Oguz