Portrait
Jean-Matthieu Fourt : artiste indépendant
Parler de lui, c’est pas trop son truc. Clown, comédien, metteur en scène, Jean-Matthieu Fourt s’exprime sur scène, sur ses pratiques artistiques, mais sur lui, bof. Né en 1967, môme de banlieue ouest à l’enfance banale, il se passionne pour l’informatique, fait partie de l’aventure des start-up du début des années 80, s’amuse à fabriquer des jeux vidéos. Une vie d’ingénieur, dont il a le diplôme, se profile à un horizon nivelé. Une vilaine chute de moto va tout chambouler. Sept opérations et un an plus tard, Jean-Matthieu (avec deux t, il y tient) décide de faire du théâtre à la place du service militaire dont il est réformé. « J’en avais fait un peu et j’avais envie d’approfondir la question », dit-il de sa voix douce qui cache une belle énergie. Il fréquente quelques mois durant une école de théâtre, puis fonde dans la foulée, avec ses complices Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset, la compagnie Octavio. Compagnie basée à Saint-Denis, à l’Harmonie municipale et qui, dix-huit ans plus tard, spectacle après spectacle, poursuit sa belle aventure.
« Au départ, nous faisions des spectacles de clowns, un peu naïfs. Il y a là une énergie de jeu qui me fascine, dans un rapport direct avec le public. » Petit à petit Octavio évolue, devient plus déjanté, se dote d’un humour de sales gosses jouissifs, « où il y a le cul et la mort », qui détonne et qui cartonne. Jean-Matt, comme on l’appelle, raconte mais ne se met pas en avant. Il vit la vie qu’il s’est choisie, en accord avec ses valeurs et ses idées. « J’ai toujours voulu être indépendant. »
À Saint-Denis depuis 1996, où il débarque au hasard des rencontres chez l’ami Cédric Simonot, il achète deux ans plus tard avec une bande de décorateurs un vaste bâtiment rue Gisquet. « À l’époque, c’était pas cher, sourit-il. Un ancien garage. Mais au début du XXe siècle, c’était une salle de bal, le Bal Gisquet, qui accueillait une harmonie municipale. » Le nom est tout trouvé : ce sera, et c’est toujours, l’Harmonie municipale, qu’il a voulue « structure de fabrication de spectacle indépendante ». Il y aménage deux salles de répétition où il accueille des compagnies et fait, entre autres, travailler les acteurs de la Fabrique de Macadam, qu’il met en scène.
Il revendique avec force le fait de travailler avec des amateurs. « La refondation du théâtre passera par eux ! Il y a aujourd’hui un hiatus entre la culture et la population. Les amateurs peuvent être par leur diversité sociale un double levier, sur scène et dans la salle. » Mais attention, prévient-il, il ne s’agit pas d’animation ou de « socio-cu ». Jean-Matt devient alors intarissable. Sur le besoin universel d’art ; sur les formes alternatives émergentes ; sur l’incapacité des structures institutionnelles à aider les gens à s’en emparer ; sur le brassage des pratiques artistiques… À peine s’il prend le temps d’évoquer ses projets, avec Octavio, un cabaret avec des circassiens et des musiciens… Une vie en forme de lutte, de fidélité à une conception de l’art, et de plaisir, avant tout de plaisir.
Benoît Lagarrigue
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