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Exposition « La musique, une histoire d’hommes ? » /
Egalité en sourdine
Hildegard von Bingen, Lili Boulanger, Elfrida Andrée, Marie Moke… Ces femmes ne vous disent peut-être pas grand-chose et cela, rassurez-vous, serait tout à fait compréhensible. Cette méconnaissance est le fruit d’années de mise en sourdine. Ces femmes ont en commun d’avoir été de grandes compositrices sans jamais acquérir la notoriété de leurs contemporains masculins ou du moins, pour la plupart d’entre elles, de passer à la postérité. Il en va de même pour Fanny Mendelssohn, évoluant dans l’ombre de son frère Félix, ou Clara Schumann et Alma Mahler, compositrices de talent trop souvent réduites à la seule popularité de leurs époux. Si l’on convient d’emblée qu’il existe « bien sûr » d’illustres auteures d’opéras, d’orchestres ou de concerti, c’est au moment de citer leurs œuvres que la mémoire flanche et que l’on reconnaît alors nos lacunes. Et si une petite mise à jour s’imposait ?
Sainte Cécile, patronne des musiciens
La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musiques (Sacem) veut rendre leurs lettres de noblesse durement conquises aux compositrices de musique classique et moderne.
Son exposition « La musique, une histoire d’hommes » replace la femme au centre de la création musicale du Moyen-Âge jusque dans les années 1980. Cette exposition, la première « physique » produite par le musée en ligne de la Sacem (1), est visible au Conservatoire de Saint-Denis. Elle a été inaugurée en partenariat avec la Mission Droits des Femmes de Saint-Denis, vendredi 25 janvier à l’occasion de la Nuit des Conservatoires.
De nombreuses auteures sont mises à l’honneur tout au long de l’exposition : Hélène de Montgeroult, dont la légende raconte qu’elle aurait échappé à la guillotine en improvisant au piano sur la Marseillaise devant le tribunal Révolutionnaire, Loïsa Puget, première femme sociétaire Sacem, Françoise Hardy qui a déposé à ce jour 350 œuvres auprès de l’organisme. Grâce au fonds d’archives de la société de gestion des droits d’auteur, le visiteur parcourt des siècles de misogynie savamment… orchestrée.
Très tôt, l’Église a écarté les femmes de la musique savante en confiant aux moines copistes les maîtrises (chœurs religieux), il était même interdit aux femmes de chanter dans les églises jusqu’au XIXe siècle. Quel paradoxe quand on sait que les musiciens ont pour patronne la martyre Saint-Cécile. Longtemps cantonnées au rôle de muses ou assimilées à des courtisanes pour les plus bohèmes d’entre elles, les musiciennes ne sont autorisées à se produire qu’à partir du XVIe siècle en France. Et là encore, ce sont seulement les dames de la haute société issues des familles d’artistes.
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4% de cheffes d’orchestre
Aujourd’hui où en sommes-nous ? Si une évolution notable dans la reconnaissance des compositrices se traduit par une redécouverte de leur répertoire, ce sont des siècles de domination patriarcale qu’il faut désamorcer. « Il n’y a que 2 % de femmes programmées dans les festivals de musiques actuelles, elles sont moins de 20 % programmées dans les festivals dans toute l’Europe. Dans les orchestres on compte 20 % de femmes solistes, 4 % de cheffes d’orchestre… » énumère Marie Leroy en charge de la Mission Droits des Femmes. Des facteurs qui peuvent paraître anodins mais qui conditionnent les jeunes apprenties et les éloignent des voies professionnelles. « C’est un problème structurel et culturel, analyse Alice Falk responsable communication et action culturelle à la Sacem. C’est le fameux plafond de verre. Dans les conservatoires elles sont surreprésentées mais on pense que les filles sont plutôt destinées à des carrières plus stables. »
Il reste donc un pas à franchir. Fabien Cailleteau, professeur de piano au Conservatoire de Saint-Denis, dresse le même constat. « En amateur elles trouvent leur place, c’est indéniable. C’est quand il s’agit de devenir professionnelles que ça se complique. Je constate auprès de mes élèves qu’elles sont très rares à vouloir devenir compositrices. Elles ont du mal à se projeter. Il faut leur offrir des modèles » Et cela doit commencer très tôt. À l’école par exemple, il reste tant à faire. « Dans les manuels scolaires il n’y a tout simplement aucune compositrice mise en avant », dénonce Alice Falk. La faute à des schémas sociétaux qui laissent peu de place aux femmes.
Avec cette exposition, le Conservatoire dionysien et la Sacem entendent donc tordre le cou aux idées reçues. « Quand nous avons commencé à faire des recherches pour développer notre thématique annuelle autour des compositrices, nous avons été étonnés, moi le premier, du nombre de grandes compositrices que nous ne connaissions pas. J’en ai découvert plus de 500. Mais quand on a cherché un concert à Paris d’une compositrice contemporaine, on en a trouvé qu’un seul dans la petite salle de la Philharmonie. Il y a une absence de prise de risque des programmateurs, affirme Fabien Cailleteau. Absolument rien ne justifie qu’elles soient inconnues du grand public ».
Maxime Longuet
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