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Covid- 19
/ Derrière la crise sanitaire, la crise économique

Hausse du nombre de demandeurs d’emploi, réduction d’activité, implantation d’enseignes suspendue… Dans le sillage de la crise sanitaire, la grande faucheuse économique fait des ravages. Alors que la ville se plie à un second confinement, point sur la situation.
© Bertrand
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Pochette remplie de documents à la main, Abachou patiente devant l’agence Pôle Emploi de Saint-Denis. Au chômage depuis fin septembre, le cuisiner a subi un licenciement économique directement lié à la situation sanitaire. « Le chiffre d’affaires du restaurant parisien dans lequel je travaillais a diminué de plus de la moitié depuis mars », détaille l’homme de 45 ans qui n’a vu aucune offre d’emploi dans la restauration depuis des semaines.

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Ce lundi 26 octobre au matin, il fait la queue comme une dizaine de personnes à l’extérieur de l’agence, l’accueil à l’intérieur étant restreint par précaution sanitaire. Certains viennent s’inscrire pour la première fois, d’autres pour évoquer leur nouvelle situation. Parmi eux, Sangeetha qui résume le cas de son mari, également cuisinier. « Il travaillait à temps partiel et il a perdu son emploi au mois de septembre. La situation est un peu compliquée parce que je m’occupe de ma fille et que je suis enceinte, donc je ne peux pas travailler », raconte la femme de 29 ans qui doit payer 900€ de loyer.

Des précaires encore plus précaires

Selon les données de Pôle Emploi, les inscriptions mensuelles de demandeurs d’emploi (toutes catégories) dionysiens sont passées de 14 130 à 14 780 entre mars et septembre 2020. Ces nouvelles inscriptions concernent surtout « les moins de 26 ans et les plus de 50 ans, les populations les plus fragiles », résume Cyrille Jutteau, directeur de l’agence Pôle Emploi de Saint-Denis. La hausse (+4,6 %) peut paraître modérée mais elle est une circonstance aggravante, alors que le taux de chômage tourne autour de 22 % depuis plus de dix ans.

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Par ailleurs, les statistiques officielles ne tiennent évidemment pas compte de celles et ceux qui dépendent de l’économie informelle, également durement touchés économiquement. Les répercussions de la baisse d’activité dans les différents secteurs, inhérentes au premier confinement, n’en sont pas moins préoccupantes. La problématique se joue « sur les transferts de catégorie. La catégorie A, celle des personnes sans activité, a augmenté de 19 % [en un an, ndlr]. Il s’agit d’une population qui avait des activités précaires, à temps partiel ou en intérim, et se retrouve sans activité », précise Cyrille Jutteau. C’est le cas du mari de Sangeetha. Le personnel de cuisine est d’ailleurs le sixième secteur le plus représenté parmi les personnes ayant perdu leur emploi entre les deuxièmes trimestres 2019 et 2020. En tête arrivent le nettoyage des locaux, l’assistance auprès d’enfants et la sécurité et surveillance privées.

Des commerces sans trésorerie

Côté commerces, les fermetures restent « pour l’instant » réduites à Saint-Denis, selon Laurent Guisez, responsable du service commerce de la Ville. S’il souhaite rester prudent sur les potentielles conséquences économiques à venir, il craint néanmoins « une deuxième vague plus meurtrière en terme économique et pour les commerces, car les entreprises attaquent la deuxième crise sans trésorerie. On va sûrement subir au niveau local les conséquences de la crise nationale et donc la fermeture d’un certain nombre de magasins ».

Conséquence directe : les ouvertures de commerces sont suspendues. « Beaucoup d’enseignes, intéressées pour se réimplanter dans la ville, ont complètement gelé leur projet de développement. JD Sport devait venir s’installer rue de la République, ce ne sera pas le cas », ajoute Laurent Guisez.

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Face à ce sombre horizon en termes d’embauches, des dispositifs gouvernementaux se mettent en place à l’échelle locale. À l’exemple d’« 1 jeune, 1 solution », qui vise à faciliter l’embauche des jeunes dans les entreprises par des compensations de charges. « Son déploiement est en cours, notamment avec des associations, mais les recrutements dans le secteur marchand sont possibles uniquement depuis le 23 octobre », explique Shems El Khalfaoui, adjoint au maire en charge du développement économique, de l’emploi et de l’insertion. Quant aux emplois francs, ils ont engendré « depuis le début de l’année, 221 recrutements », estime le directeur de l’agence Pôle Emploi.

Ce dispositif incite à l’embauche de salariés résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville en CDI ou CDD d’au moins six mois, par le versement d’aides financières aux entreprises. « Depuis fin août, cela s’est accéléré, mais on n’est pas revenu au niveau de février », constatait Cyril Juteau avant l’annonce d’un second confinement.

Dans cette situation où tout le monde navigue à vue, « on est plus sur de l’aide sociale », admet Shems El Khalfaoui, qui remarque un « vrai afflux de jeunes dans les missions locales ». Des basculements vers la pauvreté difficilement quantifiables à l’heure où la réforme de l’assurance chômage, qui vise à durcir les conditions d’ouverture des droits, reste d’actualité, bien que repoussée au 1er avril 2021.

Marine Delatouche