Cultures
JCD/
De l’exotisme au cinéma
C’est une œuvre rare et singulière qui a été présentée dimanche 10 février à l’Écran dans le cadre des 19es JCD, en préambule d’une table ronde organisée autour de l’exotisme colonial. Daïnah la métisse, de Jean Grémillon, date de 1931 et met en scène un couple noir de la haute société, chose rare pour le cinéma de l’époque. Les années 1930 marquent en effet l’apogée de la propagande colonialiste en France et le film colonial, genre phare du moment, imprègne les débuts du cinéma parlant.
Pour rappel, 1931 est également l’année où s’est tenue l’exposition coloniale internationale du bois de Vincennes et ses zoos humains aux huit millions de visiteurs. Le long-métrage de Grémillon transgresse les codes de l’époque en mettant en scène Daïnah, jeune métisse aux tenues luxueuses et son mari, un magicien féru de littérature, sur un paquebot qui se rend en Nouvelle-Calédonie. Un soir, la jeune femme seule sur le pont, repousse une tentative de viol d’un ouvrier en le mordant jusqu’au sang. Pour se venger, l’agresseur la jette par-dessus bord. Une enquête sommaire s’ouvre alors sur le paquebot. Jean Grémillon explore avec ce film la question du rapport de classe et de genre et non celui de la race. Il dénonce ainsi une bourgeoisie blanche, grotesque et misogyne qu’il illustre à travers les masques difformes que portent les voyageurs dans une scène de bal.
Des stéréotypes à la peau dure
Cependant, le film ne s’émancipe pas totalement des clichés. Il présente ainsi une dimension « féline » chez Daïnah qui, lors de ce bal porte un masque grillagé, sorte de muselière qui n’est pas sans rappeler ceux portés par les esclaves de la traite négrière. La morsure envers son agresseur fait ressurgir le côté animal de Daïnah, stéréotype typique de la représentation de la femme noire. Le film n’échappe pas non plus à l’érotisation du corps de Laurence Clavius, interprète de la jeune métisse courtisée, qui se lance, le soir du bal masqué, dans une danse endiablée. Malheureusement ces clichés ont traversé les époques et se retrouvent aujourd’hui encore dans certaines productions cinématographiques.
En 2014, le traitement médiatique du film Bande de filles de Céline Sciamma en est un exemple parlant. Régis Dubois l’a d’ailleurs analysé dans son ouvrage Les noirs dans le cinéma français : de Joséphine Baker à Omar Sy (Ed. LettMotif, 2016). Télérama, pour qui le film donnait « la sensation d’avoir posé le pied dans un territoire de fiction presque exotique » décrivait ainsi en mai 2014 la « silhouette féline » de l’actrice principale Karidja Touré. Les Échos qualifiaient une scène de bagarre de « version sauvage de La guerre des Boutons ».
Pour la réalisatrice, montrer des corps noirs était même un « parti pris esthétique et politique ». Pour autant, le film ne fait pas exception des stéréotypes auxquels les acteurs noirs sont cantonnés drainant avec eux leur lot de considérations et de remarques… « exotisantes ».
Olivia Kouassi
Réactions
Chris (Pseudonyme non vérifié)
10 septembre 2020
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