Portrait
Estelle Bertin/
Conteuse du présent
Dans son atelier qu’elle partage avec deux autres résidents du 6b, espace artistique situé non loin de la gare, la trentenaire s’affaire ; prépare du thé, discute théâtre, projets de spectacles, voyage à Venise. « J’espère que vous n’allez pas dire que je passe du coq à l’âne », plaisante cette originaire de Normandie, habitante de Saint-Denis depuis sept ans. « Avant j’habitais à Clichy puis je me suis installée dans cette ville parce que je la trouve à part. Il y a un côté village qui me plaît, je n’ai presque plus besoin de sortir à Paris parce qu’il y a plein de choses à faire ici », s’enthousiasme Estelle Bertin. Comédienne, conteuse, metteure en scène, formatrice. La Dionysienne est dans son domaine, « le spectacle vivant », une touche à tout.
Son parcours artistique débute au lycée, lorsque l’adolescente « timide » d’alors pratique le théâtre. « Ça m’a beaucoup aidée », confie la jeune femme. Plus tard, Deug et Licence en poche, l’artiste collabore avec plusieurs metteurs en scène à Paris avant de s’initier aux spectacles d’improvisation, à la mise en scène, au théâtre de texte, puis aux comédies pour enfants, un public que connaît bien cette maman d’une petite fille âgée de 6 ans « pas du tout timide », et ancienne formatrice à l’Association des paralysés de France. « J’y ai mené des ateliers de médiation artistique avec des enfants autistes ainsi qu’avec des jeunes et des adultes handicapés. C’était une superbe expérience. »
Maître de soi-même
À 35 ans, Estelle Bertin a sa propre compagnie de théâtre, Compos Sui. Depuis 2012, elle la dirige avec son amie et binôme Anne Fischer. « Compos Sui, ça vient du latin et ça signifie maître de soi-même. Je trouve que cette expression prend tout son sens dans ce que je fais. » C’est-à-dire : créer et mettre en scène des spectacles pour enfants à partir de contes inventés ou adaptés, proposer des stages sur l’art de l’improvisation, la comédie musicale, sensibiliser et responsabiliser à travers le ludique. « Avec Compos Sui, on a monté six spectacles centrés sur des sujets de société comme l’écologie, la surconsommation, la violence faite aux femmes. Certains ont pas mal tourné dans les écoles de Saint-Denis. »
Sa dernière création, La Marmite volante est actuellement en représentation à Paris. Destinée à un jeune public, elle s’inspire du célèbre conte La Soupe aux cailloux. « La Marmite volante, c’est un spectacle de théâtre musical qui raconte l’histoire d’une femme qui a perdu son nom et qui arrive dans une ville où on la rejette. Un soir, elle rêve qu’elle construit une marmite pour retrouver les siens et ça lui permet en même temps de se rappeler des choses de son passé. Ce conte interroge sur “qui est l’Autre” ? L’autre ce n’est pas forcément le migrant, ça peut être notre voisin de palier », poursuit la conteuse. Le contact avec les autres, Estelle Bertin en a fait le « lieu commun » de son travail. Sa présence au 6b depuis 2016 n’est pas un hasard.
« C’est un lieu génial, plein d’énergies créatrices et un lieu propice au genre de spectacle qu’est la performance.» La résidente relate avec entrain et fantaisie l’expérience d’improvisation auquel elle a participé lors d’un voyage à Venise, organisé par le 6b, à l’occasion de la Biennale d’architecture cette année. « J’ai lu un texte en plein milieu du Pavillon français. C’était spécial de faire vivre au spectateur ce genre d’expérience en direct.» Le direct. Il fait partie des clés de voûte dans son univers et sa façon d’aborder l’art théâtral. « Je parle souvent de théâtre du présent car il est ancré dans ce qu’il se passe ici et maintenant. C’est ça qui m’intéresse. » Pas le passé, ni l’avenir, juste le présent vivant.
Yslande Bossé