En ville
Violences faites aux femmes /
#BalanceTonComico acte II
Devant le centre administratif de Saint-Denis, les militantes féministes s’activent au collage. « Leïla, Audrey (1), on n’oublie pas, on pardonne pas. » Peint en lettres noires, ce slogan donne le ton de la manifestation féministe nocturne de ce jeudi 3 octobre, contre les féminicides. « Trop souvent, les femmes assassinées n'ont pas été prises au sérieux et trop souvent dissuadées de porter plainte dans les commissariats mêmes », dénonce leur tract.
Le 11 juillet 2019, un premier rassemblement avait déjà eu lieu pour dénoncer le manque de « mesures concrètes pour protéger les femmes », devant le commissariat central, suite au décès de Leïla, enceinte et victime de violences conjugales. La veille de son assassinat, elle avait pourtant posé une main courante au commissariat de la Plaine.
L’inter-collectif les Dionysiennes (2) lance une manifestation « Acte II », avec le hashtag « #BalanceTonComico ». « Nous ne voulons plus de “Leïla” à Saint-Denis, ni ailleurs. 113 féminicides [115 désormais], cela suffit ! », affirme au mégaphone Louise, syndiquée CGT. Les interventions se succèdent devant la mairie, dénonçant le manque de moyens et « l’enfumage » du Grenelle contre les violences conjugales. Pour Michèle, il faudrait « plus de logements, des ordonnances de protection pour toutes, car il n’y a pas de femmes moins en danger que d’autres ». Yasmina, militante au collectif pour l’enfance, dénonce, elle, « le fait que l’autorité parentale soit difficilement retirée aux pères aujourd’hui, même lorsqu’ils sont condamnés. Les lois existent mais elles ne sont pas appliquées, il faut encore changer les mentalités ».
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« Rentrez chez vous, c’est votre mari ! »
La manifestation se dirige vers le commissariat central, au rythme des percussions d’une batucada. « Une femme qui porte plainte ça ferme sa gueule, mais que fait la police ? Ça crève des yeux ! », scandent une centaine de personnes. Une vingtaine de policiers se tiennent en rang devant le commissariat. Le rassemblement dure près d’une heure. Plusieurs voix se succèdent au mégaphone et racontent toutes une histoire similaire : comment des policiers de ce commissariat ont dissuadé des femmes de porter plainte.
« Une étudiante de Paris 8 m’a raconté qu’on lui a expliqué que ce n’était pas un viol. On l’a jugée dans le commissariat, elle est ressortie sans avoir pu porter plainte. » « On demande aux femmes de raconter devant le commissariat ce qui leur est arrivé, on les fait répéter, attendre plusieurs heures… L’accueil est différent aussi selon votre profil, votre couleur de peau. “Rentrez chez vous, c’est votre mari”, on le dit aux femmes dont on suppose qu’elles pourraient changer d’avis », témoigne une autre manifestante.
« Avec le centre de santé des Moulins, nous avons orienté une femme ici pour qu’elle porte plainte. On lui a dit : “Bah dis donc, c’est le père de vos enfants, faut rentrer à la maison !”. Moi, j’avais 5 ans quand ma mère est venue au commissariat, on s’est seulement moqué de son accent ! », s’insurge une militante, qui défile devant la rangée de policiers. Certains d’entre eux sourient, se moquent, filment. « La honte ! », sifflent les manifestants. La tension monte. Dans les 15 jours précédents, au moins deux femmes se sont vues refuser le droit de porter plainte. Durant la manifestation, des femmes qui ont reçu les tracts ont aussi confié aux militantes s’être retrouvées dans la même situation.
« Nous avons besoin d’une police à l’écoute, qu’elle soit formée », revendique Zahia, militante au MRAP. « Les moyens, ils les ont quand il s’agit d’armer la police pour réprimer dans les quartiers », ajoute Amel, syndiquée à Sud. Un rendez-vous avec le préfet sera demandé sur cette question des moyens. « On va continuer à mettre la pression, on aimerait aussi que la mobilisation s’étende dans le département, nous allons proposer à d’autres villes de balancer leur comico », annonce Gladys.
À Saint-Denis, une manifestation « Acte III » est déjà programmée pour le vendredi 11 octobre, à 18h30 devant la mairie. « On reviendra quand il le faut », promettent-elles.
Delphine Dauvergne
(1) Audrey a été tuée le 16 septembre 2019 à Saint-Ouen.
(2) L’inter-collectif Les Dionysiennes est composé de femmes et de structures collectives : AFFM/Femmes de Franc-Moisin, MRAP, Sud Mairie de Saint-Denis, UL Sud-Solidaires, CGT, Éduc’action 93, UCL, NPA.
Porter plainte à la Maison des femmesÀ la Maison des femmes de Saint-Denis (1, chemin du Moulin-Basset, 01 42 35 61 28), un dispositif a été mis en place en mai 2019, pour que les femmes puissent porter plainte dans un cadre bienveillant. « Une cinquantaine de policiers ont été formés et se relaient pour assurer une permanence tous les mercredis. Nous leur envoyons surtout des personnes qu’on connaît, qu’on pense être prêtes à porter plainte. Les femmes se sentent bien chez nous, le cadre est plus accueillant que dans un commissariat où on manque d’intimité et de confidentialité. Les femmes nous font confiance, et les policiers aussi. Ils se disent que si la personne est suivie ici, c’est qu’elle est une vraie victime », décrit Dr Ghada Hatem, la fondatrice de la Maison des femmes. Le dispositif est cependant victime de son succès. « Il faut parfois attendre une quinzaine de jours pour un rendez-vous. Nous aimerions pouvoir développer plus ce dispositif. » DDa |
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