En ville
Le chiffre de la semaine/
200 euros d’amende pour les usagers de drogue
Le gouvernement a décidé de généraliser la forfaitisation des délits de stupéfiants, expérimentée depuis mi-juin à Rennes, Marseille ou Lille. Selon le procureur de Rennes, Philippe Astruc, 545 amendes ont été émises dans ces territoires tests. Au vu de ce maigre bilan, des spécialistes critiquent la mise en œuvre précipitée de cette mesure. Auteur de La Drogue est-elle un problème ?, Michel Kokoreff (1) estime que cette amende « ne sert à rien », si ce n’est à faciliter le travail des policiers pour sanctionner les consommateurs.
LE JSD : Selon vous, l’amende forfaitaire délictuelle de 200€ pour usage de stupéfiants est-elle utile ?
MICHEL KOKOREFF : Premièrement, je dois dire mon étonnement sur l’opportunité de cette annonce, comme si c’était actuellement une priorité. Deuxièmement, la répression de l’usage de stupéfiant est extrêmement chronophage pour les services de police. Avec cette amende, on simplifie les procédures, on diminue la paperasse, on désengorge les tribunaux. Mais sur le fond on ne change rien. On ne se prononce pas sur le caractère excessif ou non de la loi, sur la nécessité de décriminaliser – sans même parler de libéraliser – la consommation de drogues. Non ! L’amende est quand même excessivement élevée. Il y a une inscription au cahier judiciaire, un fichage qui sera conservé pendant dix ans. C’est tout un arsenal répressif. Cette mesure ne sert à rien, sinon à des aménagements pratiques pour les policiers et à remplir les caisses de l’État.
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LE JSD : Sur la prévention de la consommation des drogues, cette mesure n’a donc aucune utilité ?
MK : On ne règle pas un problème de santé publique avec des amendes. C’est une politique du siècle dernier. En attaquant l’usager au portefeuille, on ne règle pas les problèmes individuels, qu’il ne faut pas nier, liés à la consommation des drogues, notamment chez les plus jeunes. Cette mesure n’affectera en aucun cas le marché, l’économie, le trafic. Je pense que le trafic, malgré la Covid, se porte plutôt bien. La demande – forte – alimente l’offre. Comme la demande sociale est importante, qu’elle déborde largement les milieux populaires et les jeunes des cités, le marché a de beaux jours devant lui. Les mesurettes du gouvernement sont de la communication. L’exécutif se fout complètement des usagers, de leurs problèmes et de la santé publique. Il veut occuper le terrain de l’insécurité, très prisé depuis le remaniement avec le ministre de l’Intérieur Darmanin qui parle d’« ensauvagement ». C’est stratégique, dans l’optique des présidentielles 2022. Il n’y a rien de nouveau.
En 2003, Nicolas Sarkozy était parti en bataille sur ce thème-là en proposant une contraventionnalisation, mais sans inscription au casier judiciaire, de l’usage. Ça a été oublié. Et hop, 15 ans après, on s’est dit il y a peut-être une idée, on ne sait plus quoi dire ou faire sur le sujet et on ressort cette mesure.
LE JSD : Le Premier ministre Jean Castex a justifié cette décision en disant qu’elle doit permettre de lutter « contre les points de revente qui gangrènent les quartiers ».
MK : Faux ! On ne voit pas comment une amende sur les usages publics impacterait le trafic, c’est-à-dire ferait diminuer le nombre de clients, et donc le chiffre d’affaires. Dire ensuite que les quartiers sont gangrenés, c’est une sinistre métaphore. Cette rhétorique cache surtout l’échec d’une politique strictement répressive en matière de drogue depuis une trentaine d’années. Cela a été le cas pour la politique sécuritaire de Sarkozy, Valls, Castaner et Darmanin aujourd’hui, qui ne s’attaque pas aux causes sociales des usages et trafics.
LE JSD : Le maire Mathieu Hanotin est pour la légalisation du cannabis mais veut dans le même temps verbaliser les consommateurs pour les dissuader de venir s’approvisionner sur le territoire. Est-ce contradictoire ?
MK : Oui, il y a une contradiction. Cette position illustre, à mon sens, l’écart typique dans les discours des élus entre leur responsabilité locale et leur prise de position nationale. D’un côté donner des gages à une partie de son électorat, sensible aux mesures fortes. Et au niveau national, s’afficher comme progressiste. Il est dans un double registre. C’est une manière de ménager la chèvre et le chou, en optant pour une position sécuritaire light. Depuis 30 ou 40 ans, c’est le même discours de la gauche. En privé, les élus reconnaissent que la répression – à l’image de la verbalisation – ne fonctionne pas, mais en public, ils continuent à la soutenir. Ils prendraient le risque de perdre leur électorat, l’opinion ne comprendrait pas, etc. Résultat : c’est la politique du statu quo.
Face à l’absence de majorité politique pour changer la loi et à une opinion plutôt hostile au scénario de la légalisation, maintenir les interdits tient lieu de morale. C’est pour cela que la France reste bloquée, alors que d’autres pays européens – sans parler des États-Unis – avancent sur le sujet.
Propos recueillis par Aziz Oguz
(1) Professeur de sociologie à l’université Paris 8 Saint-Denis. Dernier ouvrage public : Le Vieux. Biographie d’un voyou, Éditions Amsterdam.
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