En ville
Assa Traoré/
« On se bat pour tous les Adama, pour tous les enfants qui vont grandir »
Au fil de son combat, elle est devenue l’une des figures emblématiques de l’antiracisme et de la lutte contre les violences policières. Avant la 4e marche pour Adama ce 18 juillet à Beaumont-sur-Oise, Assa Traoré est venue raconter, le 3 juillet dernier, l’histoire de son frère à la cité Franc-Moisin. Dans l’assistance, quelques 200 personnes, il y a des enfants, des jeunes et des anciens, dont de nombreuses mères de familles, des éducateurs et militants investis et des personnes plus dépolitisées. C’est à eux, surtout aux plus jeunes, qu’Assa Traoré s’adresse.
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« Le 19 juillet 2020, cela va faire 4 ans qu’Adama est mort. Cela va faire 4 ans que mon frère s’est fait tuer par trois gendarmes. [C’était] le jour de son anniversaire (...) le jour de ses 24 ans », relate la figure du comité Vérité pour Adama, retraçant cette journée de juillet 2016 où tout a basculé. « Ce jour-là », en fin d’après-midi, son petit frère sort à vélo. Il fait environ 35 degrés. Il a « une chemise à fleurs », un « bermuda » et « son bob sur la tête », raconte-t-elle. Adama Traoré rejoint son frère Bagui dans le centre-ville de Beaumont-surOise (95). Ce dernier est recherché – pour une affaire d’extorsion de fonds sur personne vulnérable - par des gendarmes qui décident de le contrôler. Si Bagui ne bouge pas, son frère, lui, prend la fuite.
« Un plaquage ventral »
Selon sa grande sœur, il a pris la fuite parce qu’il n’avait pas sa pièce d’identité avec lui : la mairie avait appelé le jour même pour dire que sa nouvelle carte était prête. « Ce jour-là, mon frère n’avait pas son bouclier. Il n’avait pas son gilet pare-balles », estime Assa Traoré. Dans les quartiers populaires, « la pièce d’identité, c’est une prolongation de notre vie », alors qu’ailleurs en France « elle reste dans l’armoire ». Pour « un homme noir, arabe, non-blanc », un contrôle et l’absence de justificatif peut entraîner une garde à vue, de la violence, voire la mort, dénonce-t-elle, rappelant au passage que la France a été condamnée par la justice pour « des contrôle au faciès ».
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Quand Adama Traoré prend la fuite vers 17h10, il est arrêté une première fois. Mais il se libère et s’enfuit à nouveau. Il trouve alors refuge dans un appartement. C’est là qu’aura lieu l’interpellation qui cristallise les débats. Adama Traoré a subi « un plaquage ventral » par les trois gendarmes qui lui ont compressé « la cage thoracique ». Il doit supporter « un poids de plus de 250 kg » sur le dos, ce qui a causé sa mort, défend sa sœur. Version contestée par les gendarmes. Selon eux, Adama Traoré a été victime d’un malaise cardiaque, en raison d’un effort trop important lors de sa fuite. Une seule certitude: Adama Traoré est mort d’un syndrome asphyxique.
« La violence appelle à la révolte »
« Les gendarmes ont eu un droit de mort sur la vie de mon frère », estime sa sœur. Après son interpellation, le jeune homme s’est plaint d’avoir des difficultés à respirer. Au lieu d’aller à l’hôpital, « à 200 mètres », reproche-t-elle, les forces de l’ordre emmènent son frère à la gendarmerie de Persan, à environ un kilomètre. Quand Adama Traoré sort de la voiture, il est inconscient. Et il s’est uriné dessus. Mais pour les gendarmes, il simule. Quand les pompiers arrivent un peu plus tard, ils voient le jeune homme menotté sur le ventre, face contre terre. Il ne respire plus. Les secours ne réussissent pas à le réanimer.
« La mort de mon frère est officiellement déclarée à 19 h 05 », dit précisément Assa Traoré. « Ils l’ont laissé mourir comme un chien dans cette cour de gendarmerie.» Mais à ce moment, la famille n’est pas encore au courant de la mort d’Adama. Ils apprennent son décès dans la soirée. « Le combat de la famille Traoré va commencer à ce moment-là ». Le bruit court à Beaumont-sur-Oise. S’ensuivent quelques nuits d’affrontement entre les jeunes et les forces de l’ordre. Assa Traoré parle de « révoltes » plutôt que « d’émeutes ».
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« La violence appelle à la révolte. La révolte est un sentiment, un acte légitime », défend-elle. Le « combat » est d’abord « local », insiste-t-elle. Il a réuni dans un premier temps la famille, les amis et les connaissances d’Adama Traoré, comme si tout le quartier Franc-Moisin se mobilisait après la mort de l’un de ses jeunes, compare-t-elle. C’est le début d’un bras de fer judiciaire qui dure depuis près de quatre ans. Pas moins de douze expertises et rapports médicaux ont été réalisés. « Aujourd’hui, on est dans une guerre d’expertise contre l’État. On ne lâchera jamais », assure Assa Traoré.
De victimes à coupables
Au passage, elle dénonce « l’acharnement » judiciaire contre sa famille et ses petits frères, dont l’un est toujours incarcéré. Elle-même est poursuivie pour diffamation après avoir accusé publiquement les trois gendarmes d’avoir tué son frère. « Nous sommes devenus des soldats malgré nous », décrit-elle. Pour Assa Traoré, comme d’autres hommes vivant dans un quartier populaire, son frère est déshumanisé. « Quand nos frères vont mourir, ils sont les victimes, mais ils vont devenir des coupables. On va inverser les rôles. On va les criminaliser », critique la trentenaire, rappelant que les victimes de violences policières sont régulièrement ramenées à leurs antécédents judiciaires.
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« Nos frères ne sont pas même considérés comme pouvant participer à la construction de la France (…) Ils ont toujours été invisibilisés », «pointés du doigt », estime-t-elle. Or, « ils ont le droit de vivre comme tout le monde ». Assa Traoré espère que le nom de son frère restera dans l’histoire comme celui qui « a renversé un système ». « Mon frère, il ne reviendra plus », rappelle-t-elle. À travers ce combat, « on se bat pour lui, mais on se bat pour tous les Adama Traoré (…) et pour les enfants qui vont grandir ». Elle inscrit cette lutte dans la lignée des combats contre l’esclavage, la colonisation et des luttes dans les quartiers populaires. « On se doit d’être dans la continuité de leur combat parce que sinon on n’avance pas. On ne va pas changer le monde, mais on peut le changer un peu comme les anciens l’ont fait pour nous ».
Aziz Oguz
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