En ville
Interview croisée/
« Les aménageurs ont longtemps vu les pistes cyclables comme une contrainte »
Le JSD : Quand on fait du vélo à Saint-Denis on se dit parfois que le terme de mobilité douce est assez mal adapté. Il semble ainsi exclu de voir des seniors ou des enfants sur les pistes cyclables dionysiennes. Quel constat faites-vous aujourd’hui en tant que cyclistes, alors qu’avec la crise sanitaire de plus en plus de personnes se lancent à deux-roues ?
Christophe Piercy : Le problème, c’est que le réseau est en pointillés. Certaines sections sont convenables ou pas loin de l’être, mais elles ne sont pas toujours correctement reliées entre elles. Il y a eu un sursaut en 2020 sous la pression, mais le rythme de travail a été insuffisant ces dernières années. Le résultat est que notre réseau n’a pas autant progressé que ceux de nos voisins. Dans le même temps, l’usage du vélo s’est fortement développé mais tout n’a pas suivi. Il n’y a qu’à voir comment les cyclistes garent leurs vélos devant la basilique le soir.
Maxime Gadreau : Le terme de mobilité douce est en effet un terme fourre-tout. Par ailleurs, on observe, aménagement ou non, une augmentation du nombre de cyclistes sur les routes. La présence d’enfants sur les pistes cyclables dans certaines villes voisines est un bon signal pour la qualité du réseau. Cela veut dire que le vélo est devenu une évidence pour toutes et tous à tout âge. Si des personnes vulnérables circulent sur la voirie, c’est qu’ils s’y sentent en sécurité. Il est urgent d’adapter les installations et les services.
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Le JSD : Sur la hausse de l’usage du vélo, avez-vous des chiffres ?
MG : À Plaine Commune, nous ne disposons pas de chiffres, mais à Paris l’usage du vélo est en hausse de 72%.
ChP : À Plaine Commune, c’est simple, il n’y a pas de système de comptage. Il y a dix ans, les systèmes de comptage ont été supprimés pour faire des économies. Ça n’a pas manqué de nous étonner. On va devoir réinvestir dans ces outils. Difficile aujourd’hui de savoir combien de cyclistes empruntent les pistes dionysiennes. Par contre, on a les chiffres de Velib’. On constate un vrai boom depuis décembre 2019 qui s’amplifie.
JSD : On prend souvent le problème de la place du vélo en ville sous l’angle des aménagements. Mais temporaires ou pérennes, ils existent malgré tout. Le problème ne se situe-t-il pas en partie au niveau des comportements des automobilistes, des piétons ou des cyclistes eux-mêmes ?
ChP : Les villes qui ont des chiffres, comme Paris, constatent un usage du vélo qui a doublé et un nombre d’accidents qui lui n’augmente que de 30% dans le même temps. Plus on circule à vélo, moins il y a d’accidents au final. Plus ils sont nombreux, plus les cyclistes sont pris en compte par les automobilistes. Il n’empêche, quand il y a des problèmes de cohabitation c’est souvent que les infrastructures sont à retravailler.
MG : Je suis tout à fait d’accord. D’une part les aménagements sont souvent récents et il y a des habitudes à prendre, d’autre part on observe la plupart des accidents au niveau des carrefours. Quand il y a un problème sur un aménagement linéaire, comme dans l’avenue Wilson, c’est qu’il y a des améliorations à faire pour mieux considérer le cycliste.
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ChP : Au dernier conseil municipal, j’ai évoqué la vidéo verbalisation et le cas de la rue Péri où les vélos empruntent la piste du tramway parce que la piste cyclable est rendue inutilisable. Le problème c’est que des voitures aussi empruntent les voies du tramway et je m’étonne presque qu’il n’y ait pas plus d’accidents. Il faut faire évoluer les comportements de tout le monde en même temps. Ce n’est pas si simple.
MG : Plus le vélo sera présent dans l’espace public, plus on le respectera. Si le domaine du vélo est inscrit sur la chaussée, il va s’imposer aux automobilistes. D’autre part, au niveau des comportements de cyclistes, il faut mettre en place des formations pour conduire à vélo. Il manque un vrai code de conduite vélo.
ChP : Par ailleurs, il y a un besoin de formation continue important des techniciens de voirie afin d’améliorer la prise en compte du vélo dans les aménagements.
MG : Aujourd’hui, le réseau routier est parfaitement pensé et calibré pour les automobiles. L’idée ce serait d’avoir le même niveau de service pour le vélo.
« On veut un vrai tracé clair »
JSD : Pour revenir aux aménagements donc, quelle est l’urgence à Saint-Denis ?
ChP : Achever la ligne 13 du vélopolitain est la priorité. Elle existe aujourd’hui entre Invalides et Porte de Saint-Ouen. Il y a une continuité à Saint-Ouen et à Pleyel. Ensuite, à Porte de Paris, elle s’interrompt. On veut un vrai tracé clair. L’idée est qu’elle soit opérationnelle au plus tard au printemps 2021. Ce sera un axe majeur, simple à visualiser, qui traversera tout Saint-Denis et sera connecté à d’autres grands axes cyclables.
MG : Nous sommes à l’origine du vélopolitain ligne 13. Une majorité des candidats ont ensuite repris ce projet dans leurs programmes. Globalement l’idée est de combler les discontinuités du réseau en prenant exemple sur ce qui se fait de mieux aujourd’hui, à savoir Paris ou Montreuil. On ne veut pas rester sur un standard de piste étriquée.
JSD : On a été capable d’aménager des kilomètres de piste cyclable en un temps record ces derniers mois. Ce n’était donc qu’un problème de volonté politique ?
MG : La réglementation a surtout été simplifiée pour faciliter l’aménagement de la voirie.
ChP : Certes, il y a eu une souplesse règlementaire pendant la période du confinement et une bienveillance des préfets, mais c’est aussi parce que la politique vélo parisienne fonctionnait. Ça a fait réfléchir. Certains maires comme à Drancy freinent encore malgré tout.
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JSD : Àl’horizon 2024, comment imaginez-vous le Saint-Denis des cyclistes ?
MG : Nous venons justement de répondre à l’enquête publique sur le village olympique et aucun aménagement lié au RER Vélo n’y est mentionné. La question du stationnement des bicyclettes n’est pas prise en compte non plus. On réduit encore trop le vélo à du loisir.
ChP : J’ai l’impression que les aménageurs ont longtemps vu les pistes cyclables comme une contrainte, un espace perdu. Je pense qu’en 2024 on aura beaucoup progressé sur la question des intersections. Les carrefours structurants doivent être beaucoup plus aisément franchissables. Enfin, ycompris ceux qui ne font pas de vélo peuvent gagner en qualité de vie avec le développement de trajets à bicyclette.
MG : Avec la crise sanitaire, on a peut-être gagné dix ans d’action militante. Peut-être qu’en 2024 il y aura plus de cyclistes que d’automobilistes. On espère au passage voir plus de mixité sur la route avec plus de femmes, d’enfants et de seniors, au côté des cyclistes hommes suréquipés qui sont encore majoritaires aujourd’hui. Les stationnements en gare doivent aussi être réévalués à la hausse. Par exemple, du côté de la future gare Pleyel du Grand Paris express, seuls 400 places sont prévues pour 250 000 voyageurs quotidiens. À Strasbourg, pour 50 000 voyageurs/jour, les cyclistes disposent de 3 000 stationnements.
Propos recueillis par Yann Lalande
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