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Restos du cœur/
« L’hiver va être très difficile »
L’image frappe les esprits. Vendredi 27 novembre, 8 h 45 du matin, plus de 150 personnes sont en train de faire la queue sur le trottoir aux portes de la Maison de la solidarité dans le nord de la ville, aux limites d’Épinay-sur-Seine et de Villetaneuse. Ils attendent leur tour pour la distribution de denrées alimentaires des Restos du cœur. Dans la file, il y a une écrasante majorité de femmes, venues seules, parfois avec un ou plusieurs enfants, souvent en bas âges. Des poussettes se suivent les unes après les autres.
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Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas là des gens à la rue. Cet accueil de jour se fait pour les précaires qui vivent sous un toit. Au début de la file, un groupe de femmes attend depuis 6 h du matin, alors que la distribution ne commence qu’à partir de 9h pour s’étirer jusqu’à midi. « Pourtant, on dit aux gens de ne pas venir aussi tôt », dit, peiné, Roland Perrot, coresponsable de l’antenne dionysienne de l’association de Coluche, l’une des plus importantes de Seine-Saint-Denis.
Une distribution en plus envisagée
La 36e campagne hivernale des Restos du cœur a commencé plus fortement que les années précédentes. Le premier jour, mardi 24 novembre, les bénévoles ont fait 216 distributions. Trois jours plus tard, plus de 250 entrées ont été enregistrées, comptabilise M. Perrot. « C’est notre capacité maximum par matinée. On ne peut pas servir plus de gens », explique le responsable. À tel point qu’il envisage d’ajouter un jour de distribution le samedi, en plus des trois matinées habituelles – lundi, mardi et vendredi – en semaine. L’association a déjà prévu une centaine d’inscriptions hebdomadaire jusqu’à la fin de l’année.
« Si on continue à ce rythme, on va exploser les compteurs », souligne Jean-Jacques Roks, un des responsables, qui s’occupe avec une équipe de trois bénévoles des inscriptions dans des bureaux à l’étage, pendant que la distribution a lieu dans la grande salle au rez-de-chaussée. Pour cette campagne 2020-2021, Jean-Jacques Roks s’attend au final à une hausse entre 10 à 15 % par rapport à la saison précédente, ce qui représenterait plus de 1 400 foyers inscrits. L’hiver dernier, à la fin de l’opération en mars, le centre dionysien avait enregistré 1 279 foyers, soit environ 3 800 personnes, déjà en augmentation de 15 % par rapport à la période en 2018-2019.
Père de famille et jeune fille sans travail
« C’est pareil pour toutes les associations. L’hiver va être très difficile », confie Roland Perrot, retraité de 71 ans, qui a l’impression, ces dernières années, de gérer une « PME », plutôt qu’une structure associative, manquant parfois de bénévoles. « En plus, les ressources alimentaires de la structure vont en diminuant », s’inquiète-t-il. Selon un rapport de l’Observatoire des inégalités, publié jeudi dernier, Saint-Denis se classe parmi les 20 villes les plus pauvres de France : près de quatre habitants sur dix vivent avec moins de 855 euros par mois. Et ces chiffres alarmants ne prennent pas en compte les effets de l’épidémie sur la situation sociale.
« Cette crise me fait peur. Je ne sais pas comment on va en sortir. Même après, cela ne sera plus pareil », raconte Cathy, 42 ans, mère de deux enfants, dont une fille en bas âge. Elle vient aux Restos du cœur depuis trois ans, après avoir perdu son emploi. Et elle craint aujourd’hui de ne pas retrouver un travail. Elle vit du RSA – quelque 500 euros – ainsi que de prestations sociales. Après avoir payé toutes ses charges fixes, il lui reste moins de 150 euros pour ses courses. « Je n’achète pas d’habits pour ma fille. Je ne me fais pas plaisir », confie-t-elle. Grâce aux Restos du cœur, une fois par semaine, elle peut bénéficier de quelques produits de première nécessité : boîtes de conserve, lait, huile, viande congelée, parfois quelques fruits et légumes, des produits pour bébé, etc. Marié, trois enfants, Tayeb a poussé la porte des Restos du cœur pour la première fois. Mais son dossier d’inscription a été refusé, parce que son foyer dépassait légèrement les plafonds de ressources des Restos du cœur. Il a perdu son emploi cet été, suite au premier confinement. Il n’a plus qu’une maigre allocation-chômage et des prestations familiales. « Il faut que je retrouve un boulot. C’est la seule solution », soupire l’homme âgé de 48 ans, qui cherche à se reconvertir en tant qu’éboueur.
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Emmanuelle est, elle, aussi une victime de la crise sanitaire. Titulaire d’un bac professionnel, la jeune Dionysienne de 21 ans vient pour la première fois. Son contrat « garantie jeune » à la mission locale se termine fin décembre. Ce dispositif lui a permis de bénéficier d’une allocation d’environ 500 euros pendant un an, tout en étant accompagnée pour trouver un emploi stable. Sauf qu’à cause de la crise, elle n’a jamais trouvé un contrat dans son secteur d’activité en accueil. En janvier, elle n’aura plus de ressources. « Je n’ai pas le droit au RSA, parce que j’ai moins de 25 ans, souligne-t-elle. À mon âge, je suis obligée de demander de l’aide pour avoir de quoi manger. Je me dis en même temps que j’ai la chance de ne pas être à la rue. J’aurais pu être dans une situation meilleure mais bien pire aussi. On doit se contenter de ce qu’on a », relativise la jeune femme, avant de quitter le centre, avec son cabas rempli de denrées alimentaires.
Aziz Oguz
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