En ville

Thierry Dallard
/ « L’ambition du Grand Paris express est plus grande que celle du métro du XXè siècle »

Thierry Dallard a pris la présidence de la Société du Grand Paris (SGP) en juin 2018. Depuis ses nouveaux bureaux du Moods à Saint-Denis (près du RER B Stade de France), il supervise l’avancée des travaux du Grand Paris express dont il a la responsabilité.
© Patrick Gaillardin
© Patrick Gaillardin

LE JSD : La Société du Grand Paris fête ses 10 ans cette année. Quel bilan tirez-vous de cette première décennie d’activité ?

THIERRY DALLARD : J’en tire un bilan très positif pour de multiples raisons. Malgré les alternances politiques nationales et locales et les multiples crises traversées depuis 2010, le projet avance et a été conforté. Le chantier a connu une accélération assez extraordinaire depuis deux ans en passant de 1 à 20 tunneliers en fonctionnement. Un projet qui avance aussi vite en France et en Europe, il n’y en a quand même pas beaucoup.

LE JSD : Paradoxalement, de l’extérieur, on peut avoir l’impression que tout est très long…

TD : J’ai bien conscience de ce contraste, qui plus est dans une société où on a presque tendance à considérer que dès lors qu’un besoin est exprimé il faudrait qu’il soit satisfait dans l’année qui suit. Nous sommes confrontés à un réel qui s’impose à nous. Quand il faut creuser dans le sous-sol, ce dernier se rappelle parfois à nous de manière assez sévère. Deux facteurs sont en général déterminants dans le calendrier d’une opération. Le facteur politique : y a-t-il un consensus ? La réponse est clairement oui. J’en veux pour preuve le rôle majeur des maires pour défendre le projet et accompagner la SGP dans son travail au quotidien.

Le deuxième facteur clé, c’est la programmation financière. L’outil créé par les parlementaires en 2010, à savoir une société qui avait le droit d’emprunter et bénéficiait d’une fiscalité dédiée, permet de ne pas dépendre d’une programmation budgétaire qui toujours régule le rythme d’avancement des projets. Les deux autres facteurs qui peuvent dimensionner un planning ensuite sont : les difficultés techniques objectives et l’acceptabilité des chantiers par les riverains. C’est pourquoi nous avons beaucoup mis l’accent sur la transparence, pour expliquer notamment les difficultés rencontrées.

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LE JSD : En parlant de difficultés, il semble désormais acquis que les lignes 16 et 17, qui devaient desservir Saint-Denis pour les JOP ne seront pas livrées en 2024. À quelle date ouvriront ces tronçons ? Confirmez-vous en revanche que la 14 desservira bien Saint-Denis Pleyel en 2024 ?

TD : Pour ces tronçons, comme pour toutes les lignes, nous sommes en train d’étudier des solutions qui nous permettront de regagner du temps par rapport au retard causé par la crise sanitaire du premier semestre. Elle nous a fait perdre de trois à huit mois selon les lignes. Le deuxième confinement n’a arrêté aucun chantier à ce stade, mais retarde notre exercice de rattrapage. Aujourd’hui tous les acteurs sont mobilisés pour contenir ou réduire le retard. Les livraisons auront donc entre trois et huit mois de retard. Les tronçons en question seront livrés fin 2024 ou début 2025. La dernière section de la ligne 14 entre Mairie de Saint-Ouen et Saint-Denis Pleyel est à la fois réalisée par la SGP et la RATP. Le tunnelier Valérie qui est parti du puits Mandela est en action. La situation est un peu tendue, mais il y a suffisamment de capacité d’accélération pour que le calendrier fixé soit respecté, à savoir une mise en service à l’été 2024.

Le JSD : Le budget initial a enflé pour atteindre aujourd’hui les 36 milliards €. Est-il stabilisé désormais ?

TD : Cette enveloppe, exprimée en « euros 2012 », est toujours la même et il n’y a pas de raisons de penser que l’on s’en éloigne. L’enjeu est dans la maîtrise du coût de réalisation. Cela revient essentiellement à maîtriser les risques. Les premiers aléas sont géotechniques. On a pris certaines mesures pour maîtriser ce coût en changeant de méthode contractuelle et en passant à la conception-réalisation. On demande ainsi aux entreprises qui vont faire les travaux de venir plus tôt. De travailler avec les bureaux d’études pour s’engager conjointement sur les coûts et les délais. On bénéficie ainsi de leur expérience et leur savoir-faire. Le premier appel d’offres de ce genre a été lancé le 29 septembre dernier.

L’autre levier, c’est d’éliminer certaines complexités techniques comme ça a été le cas avec la gare de La Défense initialement positionnée sous le centre commercial des Quatre-Temps. Le changement de positionnement de cette gare sera normalement acté à l’été prochain. Nous avons aussi donné envie à des entreprises non franciliennes de répondre aux marchés de travaux de finition des gares. Toutes ces mesures contribuent à maîtriser le coût. 
 

« Notre principale fiscalité est une taxe sur les m2 de bureaux »

Le JSD : La SGP perçoit chaque année 764 millions € de recettes fiscales franciliennes qui lui permettent de lever ensuite des milliards d’euros sur les marchés obligataires. Ce système suffit-il à garantir les besoins de financement du Grand Paris express, ou comme l’ont laissé entendre dans un récent rapport des Sénateurs, faudrait-il que l’État assure un apport, pour ce projet d’intérêt national ?

TD : Gilles Carrez (député LR) dans un rapport avait évalué à 250 millions € le montant des recettes supplémentaires dont avait besoin annuellement la SGP pour rembourser sa dette. Les décisions budgétaires de 2018 et 2019 du parlement avaient augmenté les ressources de la SGP de 150 millions €. Il manquerait donc 100 millions € si l’on se rapporte au travail de Gilles Carrez. C’est sur ce décalage que les sénateurs se sont exprimés récemment en faveur d’une mobilisation de la fiscalité nationale plutôt que francilienne. Notre principale fiscalité est une taxe sur les m2 de bureaux pour le moment.

Sur le sujet du financement, il faut avoir à l’esprit que nous bénéficions d’une période assez favorable avec des taux d’intérêt très bas (endettement à 10 ans à 0% et à 30 ans de l’ordre de 0,5%). Notre conseil de surveillance nous a donc autorisés à emprunter au-delà de nos besoins de trésorerie de manière à préfinancer les besoins des années futures pour un montant de l’ordre de 9 milliards €. L’idée est d’éviter de se retrouver face à une augmentation des taux en 2026 et 2027 et de voir notre dette se renchérir.

Juste une remarque : si nous avions des difficultés d’emprunt pour quelque raison que ce soit, l’impact sur les chantiers serait de plusieurs années de retard. Pour tenir le calendrier fixé, nous devons dépenser 4 milliards par an, ce qui nous oblige à emprunter 3,3 milliards par an. Le vrai risque, c’est le risque financier. Si nous n’avions pas cette capacité d’emprunt nous finirions le chantier en 2075.

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Le JSD : Une des particularités est que les obligations que vous émettez sont dites vertes…

TD : Les obligations vertes sont ainsi labellisées quand le projet auquel elles se réfèrent répond à un certain nombre de critères environnementaux et sociétaux. Il se trouve que le Grand Paris express répond à ces critères. Le métro va permettre un transfert de mobilité de la voiture vers les transports en commun. Mais il répond aussi à des enjeux sociaux en améliorant la desserte de territoires aujourd’hui enclavés. Je prends pour exemple le territoire de Clichy-Montfermeil. Aujourd’hui, en 45 minutes vous avez accès à 300 000 emplois. Demain, avec le Grand paris express, pour le même temps de transport, ce seront 3,5 millions d’emplois qui seront accessibles. Un autre sujet environnemental auquel répond le Grand Paris express c’est la reconstruction de la ville sur la ville, à proximité des gares, plutôt que de consommer des terres agricoles.

Nous sommes la première entreprise au monde à avoir une politique d’investissement 100% verte. Hors états souverains, nous sommes le plus gros émetteur d’obligations vertes. Les émissions de la SGP ont fait de Paris la première place financière de la fiscalité verte. 
 

« Le Moods permet d’accueillir tout le monde »

LE JSD : On a longtemps entendu que les moyens humains de la SGP n’étaient pas suffisants pour tenir les délais. Vous avez récemment changé d’adresse à Saint-Denis pour vous installer dans des locaux plus grands (le Moods). Sur combien de collaborateurs peut s’appuyer la SGP aujourd’hui ? Ce nombre a-t-il vocation à encore évoluer ?

TD : Le constat de la cour des comptes était sans appel. Avec un plafond d’embauche fixé à 200, la SGP était dans l’incapacité de mener à bien le projet. Derrière les tunneliers, il faut des juristes, des acheteurs, des personnes pour contrôler les entreprises. Le plan de recrutement doit nous faire passer de 200 personnes en 2018 à 1 100 personnes en 2022. Actuellement, nous sommes un peu plus de 600. Cette hausse des effectifs est indispensable pour piloter le projet. Le Moods permet d’accueillir tout le monde, ainsi que les bureaux d’études qui contribuent à la maîtrise d’ouvrage.

LE JSD : Combien d’hommes sont mobilisés sur le terrain par les chantiers du Grand Paris ? Êtes-vous dans les clous que vous vous étiez fixés en termes d’insertion ?

TD : Entre 6 000 et 7 000 personnes interviennent dans les chantiers de la SGP. Nous avons toujours eu une politique volontariste en inscrivant dans les contrats une obligation de 5 % des heures travaillées en insertion, soit l’équivalent de 1 900 personnes depuis le début des travaux. L’objectif sera atteint. Dans les prochains appels d’offres nous allons donc porter cet objectif de 5 à 10 %. La période que nous traversons justifie cet engagement sociétal plus fort.

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Le JSD : De nouvelles campagnes de recrutement vont-elles être prochainement lancées par les attributaires des marchés que vous passez ?

TD : Notre mission emploi, à travers un partenariat très fort avec les territoires, accompagne les campagnes de recrutement des entreprises. Au-delà des clauses d’insertion, nous avons signé des conventions pour l’emploi avec 11 territoires comme Plaine Commune par exemple. On a beaucoup parlé de la difficulté d’avoir autant de tunneliers en action en même temps. Ce n’est pas la fabrication qui était en cause. Le facteur d’inquiétude c’était les équipages de ces engins. Il faut une petite centaine de personnes pour piloter chaque tunnelier. Il y a eu un gros effort des entreprises pour embaucher et former des personnes.

Nous menons aussi un gros travail auprès des écoles traversées par le Grand Paris express pour donner aux élèves l’envie de faire ces métiers-là plus tard. Des techniciens présentent régulièrement leur travail sur le site de la Fabrique du métro à des jeunes pour notamment lever la barrière de la formation. Car je suis convaincu qu’il y aura à l’avenir des projets de même nature que le Grand Paris express dans bien des métropoles.

LE JSD : Les futures rames et stations du Grand Paris express ont été présentées récemment à la Fabrique du métro (à Saint-Ouen). Certains observateurs ont critiqué leur caractère aseptisé. Qu’est-ce qui a guidé leur conception ? Peuvent-elles encore faire l’objet de modification ?

TD : Le métro et les gares sont des lieux qui se veulent accessibles à tous et c’est ce qu’attendent les Franciliens d’un réseau de transport moderne. La conception des rames est tournée sur l’usage et le confort, notamment en direction des personnes à mobilité réduite. Nous avons testé nos solutions à la Fabrique du métro. C’est l’aboutissement d’un travail de plusieurs années. Des choses passeront peut-être inaperçues comme le sol qui concilie enjeu de sécurité, d’entretien et de durabilité. Notre but est d’assurer la qualité de service sur l’ensemble du réseau de manière homogène. Je rappelle que les gares seront 100 % accessibles. 

Le JSD : Quand interviendra le choix des exploitants ?

TD : C’est une prérogative d’Île-de-France Mobilités qui conduit trois appels d’offres distincts. Le premier lancé cette année, devrait aboutir en 2022 pour les lignes 16 et 17. Le deuxième sera la ligne 15 et le troisième la ligne 18.

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Le JSD : Allez-vous profiter du creusement de 200 km de galerie pour déployer d’autres réseaux (fibre notamment) qu’un réseau ferré ?

TD : C’était prévu dans la loi qui a créé la SGP et c’est ce que nous faisons dans la partie en béton sous la plateforme sur laquelle roulent les trains. Nous passons des réseaux optiques. Ce sera un réseau de grande capacité et plus sécurisé que celui sous la voirie. Cela permettra l’émergence d’une métropole numérique.

LE JSD : Pour conclure, en quoi le Grand Paris express sera un métro du XXIe siècle ?

TD : Le métro lui-même, d’abord sur le plan technologique : automatique, avec une fréquence adaptable aux besoins, une vitesse commerciale très élevée (Entre 55 et 65 km/h, contre 25 km/h pour le métro actuel). C’est un métro qui concilie la capacité d’un RER avec la souplesse d’un métro. Climatisé, connecté, vidéosurveillé, tout ce qu’attendent les voyageurs. Plus globalement, le Grand Paris express va structurer la métropole différemment, au regard des grands enjeux de ce siècle que sont la lutte contre les gaz à effet des serres, la préservation des terres agricoles, la préservation de la biodiversité.

L’ambition du Grand Paris express est plus grande que celle du métro du XXe siècle réalisé dans Paris ou le RER qui répondaient avant tout à des enjeux de transports. Le Grand Paris Express répond autant à des besoins de mobilité qu’à des besoins de qualité de ville, de qualité de vie en général.

 

Propos recueillis par Yann Lalande

Réactions

Merci au Président Nicolas Sarkozy d'avoir lancé le Grand Paris dès le mois de juin 2007. Merci à Christian Blanc d'avoir fait voter la loi 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Sans ces deux hommes politiques, on en serait encore en 2020 à d'interminables discussions sur le tracé des nouvelles lignes de métro d'Île-de-France. Honte à François Hollande d'avoir essayé de torpiller le Grand Paris. Honte à Jean-Marc Ayrault d'avoir réduit la taille du Grand Paris Express et d'avoir retardé la réalisation du nouveau réseau de transport public.