À la une En ville

Covid 19 Témoignage
/ « J’avais tellement de mal à respirer le soir que je ne pensais pas me réveiller le lendemain »

Une chambre de l’unité de soins réservée aux patients Covid, comme celle où Sandro G. est en convalescence. © Yann Mambert
Une chambre de l’unité de soins réservée aux patients Covid, comme celle où Sandro G. est en convalescence. © Yann Mambert

Sandro G. a l’impression de sortir d’un long tunnel. Convalescent, l’homme de 52 ans a encore la mine creusée par la maladie, mais il revit. « Ce matin, c’est la première fois que j’ai revu le lever du soleil », savoure ce père de famille, regardant la grande fenêtre – qui donne sur une zone pavillonnaire, avec des arbres ici ou là et des bâtiments au loin – de sa chambre jaune au deuxième étage de l’hôpital Delafontaine.

« Je me vois bientôt à la maison », s’imagine déjà le Pierrefittois. La veille, Sandro G. a rejoint cette unité de soins réservée aux patients Covid, où il doit encore rester en observation une bonne semaine, mais il est tiré d’affaire, après 19 jours passés en service de réanimation, « entre la vie et la mort ».

LIRE AUSSI / Delafontaine : après le tsunami du printemps, une deuxième vague sous contrôle

Personne à risque, atteint d’une sclérose en plaques, le quinquagénaire a depuis le début de l’épidémie toujours fait attention au virus. Fin octobre, il organise un déjeuner en famille au restaurant pour fêter les 80 ans de son père, avec une petite dizaine d’invités. « Cela faisait six mois que je n’avais pas vu mes parents. On ne voulait pas le faire en visioconférence », justifie-t-il.

Lors de ces retrouvailles, Sandro explique pourtant « respecter toutes les précautions d’usage », à savoir le port du masque, l’utilisation du gel hydroalcoolique et la distanciation d’un mètre entre les convives. Mais cela ne suffira pas. Près de la moitié des personnes présentes seront alors contaminées. « On n’aurait pas dû organiser ce repas. Pour une petite réunion de famille, c’est cher payé », regrette ce père de quatre enfants. C’est sans doute son fils aîné qui a transmis le virus à ses proches. « Le jour même, il avait joué au football. Mais c’est après le repas, en fin journée, qu’il a commencé à avoir du mal à respirer. Il est directement allé à l’hôpital et il a été testé positif », relate Sandro.

Toute la famille est ensuite testée. Le virus ne touche pas tout le monde, ni avec la même gravité. L’un des fils de Sandro est positif, mais il ne ressent qu’une légère fatigue passagère, tandis que sa benjamine est négative. Son père ne tombe pas malade, contrairement à son frère et sa mère qui sont plus sérieusement touchés. Le premier s’en est sorti après plusieurs jours d’hospitalisation. Mais la maman est toujours en service réanimation à Delafontaine, sans être intubée, dans un état sous contrôle, indique son fils, qui espère une évolution positive dans les prochains jours.

Ces cadors et amours de soignants

Après quatre jours de forte fièvre, Sandro, lui, a été hospitalisé le 1er novembre. Il est transporté aux urgences en ambulance. Il a alors extrêmement de mal à respirer. « Le soir, on m’a envoyé en réanimation », raconte-t-il. Dans ce service totalement refait à neuf en 2019, situé au rez-de-chaussée entre les urgences et le bâtiment principal de Delafontaine, il n’y a quasiment pas de lumière du jour. Médicamenté, Sandro est placé sous assistance respiratoire. Il survit grâce aux machines.

« On entend le bip bip des instruments. On a des fils de partout. On a l’impression d’être dans un cockpit d’avion, comme si on était en dehors du temps », témoigne le quinquagénaire, qui a vu la mort de près. « Il y a eu des hauts et des bas. Au début, j’avais tellement de mal à respirer qu’en m’endormant le soir je ne pensais pas me réveiller le lendemain », confie-t-il. Totalement alité, il ne peut rien faire sans le personnel soignant. « Ce sont des cadors, des amours, des équipes dévouées et soudées qui sont là pour sauver des vies. Je ne les remercierai jamais assez. Malgré tout ce qu’on peut dire sur Delafontaine, c’est un très bon hôpital, avec du matériel dernier cri », ajoute-t-il.

LIRE AUSSI : « Il crache du sang en grande quantité et à l’hôpital ils ne l’ont pas gardé… »

« À Saint-Denis, on a un service de réanimation à la pointe, que ce soit en ressources humaines ou matérielles », insiste le Dr Da Silva, chef du pôle du Smur, des urgences et de la réanimation. Aujourd’hui soulagé de s’en être sorti, Sandro appelle à faire attention afin de ne pas se retrouver dans la situation qu’il a connue. « Les gens ne se rendent pas forcément compte de la dangerosité de ce coronavirus », explique-t-il.

Même si elle tue majoritairement des personnes âgées, « cette maladie touche tous les âges », rappelle le Dr Rémi Lefrançois, responsable du service des maladies infectieuses et respiratoires (MIR), transformé en unité Covid-19, avec 21 lits. Il demande à la population «de faire le dos rond ensemble », alors qu’il ressent de la lassitude chez les gens avec ce deuxième confinement. « Le vaccin offre des perspectives encourageantes, mais il ne sera pas disponible tout de suite. Il faut donc continuer à maintenir les gestes barrières, à porter le masque », explique-t-il.

Dans cette unité, il y a les malades en convalescence ou avec des difficultés respiratoires sous contrôle. L’équipe médicale est particulièrement vigilante entre le 7e et le 10e jour de la maladie, quand certains patients subissent « un orage inflammatoire », avec une dégradation de certains cas en « quelques jours, voire en quelques heures », qui peuvent nécessiter un transfert en réanimation, explique le Dr Lefrançois.

Maigre revalorisation

La deuxième vague est heureusement moins forte que la première. « Cela nous est tombé dessus. Personne n’est prêt à vivre un événement pareil, se souvient Katalyne, infirmière de 32 ans. Pendant deux semaines, j’ai quasiment vu une personne mourir tous les jours. J’ai vu plus de morts qu’en neuf ans de carrière. Les gens ne s’en rendent pas compte. Certains pensent que c’est une gripette. Mais c’est quelque chose de réel », insiste-t-elle. Avec ses collègues, elle a tenu le choc, même si elle a passé « des jours horribles. Les liens qui nous unissent nous ont permis de ne pas craquer ». Comme son équipe, elle a été touchée par l’élan de solidarité des habitants lors de la première vague. Mais ce souvenir paraît aujourd’hui bien lointain. « On n’est pas reconnu par l’État, la société, regrette l’infirmière. L’hôpital était déjà en crise et il a dû gérer une autre crise », rappelle-t-elle.

En juillet, le gouvernement a annoncé une revalorisation de 183 euros en deux temps lors du Ségur de la santé. « Lors de la première vague, on ne s’est pas posé de questions. On est allé au front. Et malgré tout cela, on a dû aller manifester dans la rue pour obtenir une augmentation. Il faut arrêter de se moquer des gens », critique-t-elle. Avec ce plus, elle atteindra quelque 1900 euros par mois, mais elle juge que son salaire est toujours insuffisant. La reconnaissance des pouvoirs publics attendra. Le personnel soignant aura au moins la gratitude de Sandro et des personnes sauvées dans les hôpitaux. « Il faut leur tirer notre chapeau », insiste-t-il.

Aziz Oguz